• 15 Aoû 2018
  • Canada
  • Communiqué de presse

Canada : les personnes à statut précaire ont droit à l’accès aux soins de santé essentiels

Amnistie internationale et le Réseau international pour les droits économiques, sociaux et culturels (Réseau-DESC) saluent la décision sans précédent du Comité des droits de l’homme des Nations Unies qui, en acceptant la plainte contre le Canada et confirmant la violation du droit à la vie et du principe de non-discrimination, a déterminé que la protection du droit à la vie exige des États qu’ils assurent l’accès aux soins de santé essentiels aux personnes à statut précaire ou personnes migrantes.

« C’est la première fois qu’un organe chargé des droits humains déclare que le droit à la vie et à l’égalité pour les personnes à statut précaire comprend l’accès aux soins de santé essentiels, » fait savoir Geneviève Paul, directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone. « En reconnaissant notre humanité commune, cette décision envoie un message sans équivoque,  à savoir que le statut d’immigration d’une personne ne devrait en aucun cas porter atteinte au droit à la vie. Chaque personne vivant dans un pays doit avoir accès aux soins de santé essentiels, peu importe son statut. »

Un traitement destiné à sauver la vie refusé à tort

La requérante, Nell Toussaint, est entrée au Canada en tant que visiteur en 1999 et y est demeurée pour travailler sans avoir en sa possession des documents en bonne et due forme. Elle a entrepris les démarches pour régulariser son statut par rapport à l’immigration en 2005. Le processus a toutefois été retardé et en 2008, elle a connu de graves problèmes de santé nécessitant des soins médicaux. Elle a eu accès à certains soins médicaux d’urgence, mais en raison de son statut précaire d’immigration, d’autres services pourtant essentiels et offerts par le biais du Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI) lui ont été refusés. Elle a contesté sans succès ce refus devant la Cour fédérale, puis on lui a refusé le droit d’en appeler de la décision devant la Cour suprême du Canada. Mme Toussaint a donc décidé de contester ces décisions devant le Comité des droits de l’homme.

Après examen, le Comité s’est prononcé en faveur de Mme Toussaint et a formulé les observations principales suivantes :

  • Le droit à la vie comprend les droits indispensables permettant à toute personne de vivre dans la dignité. Cette mesure de protection requiert du gouvernement de mettre en place des mesures positives.
  • Dans le contexte de la présente affaire, l’État est, au minimum, dans l’obligation de fournir à chaque personne l’accès aux services de soins de santé existants qui sont raisonnablement disponibles et accessibles lorsque l’absence de soins exposerait la personne à risque raisonnablement prévisible pouvant mettre sa vie en danger.
  • En matière de droit à la vie, les États ne peuvent établir une distinction entre les migrants en situation régulière et les personnes à statut précaire.

Le fait d’avoir refusé à Nell Toussaint l’accès aux soins offerts dans le cadre du PFSI en raison de son statut précaire d’immigration aurait pu avoir des conséquences irréversibles sur sa santé voire mettre sa vie en danger ; une telle décision n’a reposée sur aucun fondement raisonnable ou objectif et le comité a donc conclu qu’il s’agissait de discrimination.

Le Canada doit agir immédiatement afin réparer les torts subis et empêcher de nouvelles violations

Le Comité a demandé au Canada de réviser sa législation nationale afin d’assurer l’accès aux soins de santé essentiels aux personnes à statut précaire, dans les circonstances décrites ci-dessus.

« Une telle violation du droit fondamental à la vie a débutée sous le gouvernement précédent et il est impératif de  remédier à cette situation. Mis au fait de son manquement face à ses obligations, le gouvernement actuel doit respecter ses obligations en matière des droits humains, et notamment des droits des personnes migrantes et respecter les décisions des mécanismes de protection des Nations unies par lesquels les États sont tenus responsables. Il doit, sans délai, prendre les mesures nécessaires pour mettre en œuvre les recommandations du Comité. Pour se faire, il doit faire en sorte que ses lois et politiques soient conformes aux normes internationales en matière des droits humains afin qu’aucune personne vivant sur le territoire canadien n’ait à vivre une expérience similaire à celle de Mme Toussaint », a déclaré Alex Neve, secrétaire d’Amnistie internationale Canada anglophone.

Contexte

Nell Toussaint, originaire de la Grenade, vit au Canada depuis 1999. Elle a entamé les démarches pour régulariser son statut d’immigration en 2005, mais les sommes importantes requises l’ont empêchée de poursuivre. Alors que le processus était en attente, elle a développé de graves problèmes de santé qui ont mis sa vie en danger. Elle a reçu un diagnostic d’embolie pulmonaire, en plus de souffrir de complications occasionnées par d’autres problèmes de santé, y compris un dysfonctionnement rénal et le diabète. Elle a pu recevoir certains soins de santé d’urgence, mais sa condition nécessitait de recevoir d’autres soins préventifs et curatifs essentiels pour lesquels elle a fait la demande dans le cadre du Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI). L’accès au programme lui a été refusé en raison de son statut précaire d’immigration. Elle a contesté cette décision devant les tribunaux canadiens.

Alors que sa contestation était en attente d’examen, en avril 2013, sa demande pour obtenir sa résidence permanente au Canada a été acceptée et, de ce fait, elle était désormais admissible au régime de soins de santé. N’ayant obtenu aucune réparation devant les tribunaux, elle a présenté son cas au Comité des droits de l’homme des Nations unies, affirmant qu’il y avait eu violation du droit à la vie et à la non-discrimination ; elle a demandé une modification de la législation et des politiques canadiennes afin de s’assurer que les personnes à statut précaire aient accès aux soins de santé nécessaires à la protection de leur droit à la vie.

Amnistie internationale et le Réseau-DESC ont soutenu Mme Toussaint en soumettant des avis juridiques qu’elle a pu versés à son dossier, fournissant au Comité un résumé pertinent du droit international et du droit comparé, ainsi que des normes en vigueur, s’appuyant notamment sur les principes d’interdépendance et d’indivisibilité des droits pour mettre de l’avant le lien entre le droit à la vie et les autres droits tel que le droit la santé.