• 2 mai 2024
  • Irak
  • Communiqué de presse

Irak. Les autorités du Kurdistan d’Irak doivent immédiatement mettre fin à leurs attaques contre la liberté de la presse

Les autorités du Kurdistan d’Irak doivent mettre fin à leurs attaques contre les droits à la liberté d’expression et à la liberté de la presse, notamment aux arrestations arbitraires, aux agressions physiques et aux procès iniques dont font l’objet des journalistes, a déclaré Amnistie internationale le 2 mai à l’approche de la Journée mondiale de la liberté de la presse. Les manœuvres de harcèlement et d’intimidation ainsi que les attaques visant des journalistes ont eu un effet paralysant sur l’exercice des droits à la liberté d’expression et à la liberté de la presse au Kurdistan d’Irak, et de nombreux journalistes ont été contraints de fuir, de se réfugier dans la clandestinité ou encore d’abandonner leur métier alors qu’en parallèle beaucoup étaient maintenus en détention. 

« Les autorités du Kurdistan d’Irak clament que cette région est un  “modèle en matière de liberté de la presse”, mais il n’en est rien au vu de leur répression de la liberté de la presse, ainsi que des manœuvres de harcèlement et d’intimidation et des poursuites exercées contre des journalistes, en particulier ceux qui font état d’allégations de corruption et qui critiquent la gestion par les autorités de problèmes sociaux.  Les attaques des autorités contre la liberté de la presse créent une culture de la crainte qui vise à museler la dissidence pacifique et à perpétuer l’impunité », a déclaré Bissan Fakih, chargée de campagne sur l’Irak à Amnistie internationale. 

En 2023, Metro Center, une organisation qui travaille sur la protection des droits des journalistes au Kurdistan d’Irak, a enregistré 37 arrestations de journalistes et 27 cas de journalistes victimes d’attaques, de menaces et d’insultes. Durant le premier trimestre de 2024, selon les documents dont dispose Amnesty International, les autorités du Kurdistan d’Irak ont arrêté ou convoqué au moins 10 journalistes en lien avec leur activité professionnelle. D’autres purgent déjà des peines d’emprisonnement infligées à l'issue de procès iniques. 

Amnistie internationale a mené des entretiens avec huit journalistes et avec des proches et des avocat·e·s de journalistes incarcérés, et a examiné des documents judiciaires concernant quatre cas de journalistes incarcérés au Kurdistan d’Irak ; toutes ces personnes ont parlé des obstacles qui entravent la liberté de la presse au Kurdistan d’Irak.

Détention arbitraire et procès inéquitables

Le journaliste Qahraman Shukri purge actuellement une peine de sept ans d’emprisonnement prononcée à l’issue d’un procès inique et secret. Avant d’être arrêté, Qahraman Shukri avait critiqué la gestion par les autorités kurdes des frappes aériennes turques contre le Kurdistan d’Irak.

Son frère, Zeravan Shukri, a dit à Amnistie internationale qu’en janvier 2021, les Assayech, le principal organe de sécurité et de renseignement du gouvernement du Kurdistan d’Irak, avaient arrêté de façon violente Qahraman Shukri : elles ont défoncé la porte d’entrée de sa maison, dans le gouvernorat de Dahuk, et l’ont traîné hors de son lit. 

Qahraman Shukri a été soumis à une disparition forcée pendant quatre mois, jusqu’à ce que sa famille reçoive un appel téléphonique des Assayech l’informant qu’il était détenu à la prison de Zerka, à Dahuk. Lorsque sa famille lui a rendu visite pour la première fois en mai 2021, Qahraman Shukri lui a dit que les forces de sécurité l’avaient frappé jusqu’à ce qu’il « avoue » des actes qu’il n’avait pas commis. « Il a eu peur et il voulait qu’ils arrêtent de le frapper », a expliqué son frère. Qahraman Shukri lui a aussi dit qu’il n’avait pas bénéficié d’une représentation juridique pendant les interrogatoires. La famille a ajouté qu’elle n’a su que Qahraman Shukri avait été inculpé et jugé qu’après sa condamnation, au moment où elle a été autorisée à lui rendre visite. 

Les documents judiciaires examinés par Amnistie internationale ont révélé que le tribunal pénal de Dahuk l’avait déclaré coupable d’avoir « rejoint le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), espionné pour son compte et partagé des informations avec cette organisation ». Il n’a pas été autorisé à choisir un·e avocat·e pour son procès et n’a pas bénéficié du temps nécessaire à la préparation de sa défense. Qahraman Shukri a dit à son frère qu’il n’a été informé de son procès qu’au moment où il a soudainement été transféré au tribunal pénal de Dahuk à bord d’un véhicule des services de sécurité. 

La Cour de cassation a confirmé la déclaration de culpabilité et la peine prononcées contre lui le 12 octobre 2023 alors même qu’il avait dit aux juges que ses « aveux » lui avaient été extorqués sous la contrainte. 

« Dès son arrestation, les droits fondamentaux de Qahraman Shukri, notamment son droit à un procès équitable, ont été violés de façon flagrante : il a été frappé, forcé à faire des “aveux” et privé d’accès à un avocat », a déclaré Bissan Fakih. 

Le frère de Qahraman Shukri, qui est également journaliste, a dit à Amnistie internationale qu’il avait reçu de nombreuses menaces le sommant de « la fermer » parce qu’il avait réclamé sa libération. « Je suis parti [du Kurdistan] pour protéger ma famille, car elle vivait dans la crainte permanente de me voir être arrêté, moi aussi » a-t-il déclaré.

Sherwan Sherwani, un autre journaliste qui travaillait essentiellement sur les droits humains, la liberté d’expression et la corruption, a été arrêté le 7 octobre 2021 et inculpé quatre mois plus tard, avec quatre autres journalistes et des militant·e·s, sur la base d’accusations fallacieuses d’espionnage et de partage d’informations avec le PKK. Le procès a été marqué par de graves violations du droit à un procès équitable, notamment par des allégations de torture et d’autres mauvais traitements qui n’ont pas fait l’objet d’une enquête, l’utilisation d’aveux extorqués sous la torture, et le refus d’autoriser les avocat·e·s de la défense à accéder en temps voulu aux dossiers de l’affaire. 

Sherwan Sherwani devait être libéré le 9 septembre 2023, mais le 20 juillet 2023, le tribunal pénal d’Erbil a retenu contre lui de nouvelles accusations infondées qui visaient à le maintenir en détention. Il a été condamné à quatre ans d’emprisonnement supplémentaires. Amnistie internationale a appris que d’autres accusations fallacieuses ont été retenues contre Sherwan Sherwani et qu’il attend actuellement d’être jugé pour ces motifs. 

Un climat paralysant pour les journalistes

Un grand nombre de journalistes ont fait l’objet de poursuites et été condamnés à de longues peines d’emprisonnement, mais dans la plupart des cas, les autorités ont exercé contre les journalistes des manœuvres de harcèlement et d’intimidation, réduisant au silence les voix dissidentes. Amnistie internationale a connaissance d’au moins huit cas de journalistes qui ont fui le Kurdistan d’Irak ces quatre dernières années parce qu’ils craignaient pour leur sécurité. Un grand nombre d’entre eux travaillaient pour des médias considérés comme hostiles aux autorités et ont couvert des allégations de corruption au Kurdistan d’Irak. 

Un journaliste ayant travaillé avec Sherwan Sherwani sur des questions portant sur la corruption et des problèmes sociaux a dit à Amnesty International que les Assayech et le Parastin, le service de renseignement du Parti démocratique du Kurdistan (PDK), l’avaient arrêté 11 fois et qu’il avait finalement fui en 2020. Le PDK est le parti au pouvoir au Kurdistan d’Irak. Le journaliste a souligné qu’on ne lui avait jamais présenté de mandat d’arrêt. 

« Personne ne devrait subir de manœuvres de harcèlement et d’intimidation pour avoir accompli son travail de journaliste. Les autorités du Kurdistan d’Irak doivent immédiatement et sans condition libérer toutes les personnes détenues uniquement en raison de leur travail de journaliste. Les autorités doivent protéger les droits fondamentaux et la liberté de la presse, et prendre de véritables mesures pour créer un environnement propice permettant aux journalistes d’accomplir leur travail en toute sécurité et aux personnes d’exprimer librement des opinions dissidentes », a déclaré Bissan Fakih.