• 17 oct 2023
  • Sierra Leone
  • Communiqué de presse

Sierra Leone. Plus d’un an après les violentes manifestations d’août 2022, justice n’a toujours pas été rendue aux victimes

Les autorités de Sierra Leone doivent garantir vérité, justice et réparations aux victimes des manifestations d’août 2022 qui ont pris un tour violent, a déclaré Amnistie internationale le 17 octobre 2023, un an jour pour jour après l’enterrement des manifestant·e·s et des passant·e·s tués.

Plus de 20 manifestant·e·s et passant·e·s et six policiers ont été tués lors des violentes manifestations du 10 août 2022 liées à la frustration croissante face à la flambée du coût de la vie. Le Comité spécial d’enquête mis en place par le gouvernement a rendu ses conclusions en mars 2023. Il préconise dans son rapport de former les policiers pour qu’ils évitent d’avoir recours à la brutalité, mais ne recommande pas d’enquêter sur l’usage excessif de la force lors des manifestations. À ce jour, aucune enquête n’a été menée sur les décès de civil·e·s.

D’après les témoignages, les forces de sécurité ont recouru à une force excessive pour réprimer les manifestations.

« Plus d’un an après, la douleur des familles des victimes est toujours aussi vive qu’au lendemain des meurtres. Les autorités sierra-léonaises n’ont pas tenu leur promesse de mener une enquête exhaustive, impartiale et transparente en vue d’apporter vérité et justice aux familles de victimes, a déclaré Samira Daoud, directrice du bureau d’Amnistie internationale pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.

« Elles doivent mener une enquête approfondie sur les circonstances entourant la mort de chacune des victimes, notamment les allégations selon lesquelles les forces de sécurité ont recouru à une force excessive et doivent inclure toutes les familles de victimes, y compris celles des policiers tués, dans toute investigation. »

Les manifestant·e·s et les passant·e·s tués lors des rassemblements ont été inhumés lors d’une cérémonie collective le 17 octobre 2022. Les familles des victimes n’ont pas eu la possibilité d’identifier leurs proches ni de leur faire leurs adieux, dans le respect de leurs souhaits et de leurs rituels.

Le frère d’une des victimes a déclaré à Amnistie internationale : « Lors de l’inhumation, nous nous trouvions à 50 mètres de distance. Nous ne pouvions pas savoir où ils mettaient les corps, ni même dire dans quels cercueils [les corps se trouvaient...] D’habitude, je n’en parle pas, même si je sors et qu’ils en parlent, je m’éloigne de cet endroit à cause de la stigmatisation. Par exemple, je suis allé acheter des vivres l’autre jour, ils en discutaient ; la femme qui vend la nourriture a dit en me voyant : " La sœur de cet homme a été abattue le 10 août 2022. " Alors je ne me suis pas senti bien à ce moment-là, j’ai dû partir et m’en aller. »

Un autre homme, qui a perdu sa fille, a déclaré :

« Ma famille et moi-même, nous ne sommes pas heureux. Depuis sa mort, j’ai eu des problèmes de santé et mon état se détériore, tout comme celui de ma femme.

« Lorsque [ma fille] exerçait son activité professionnelle, c’est elle qui assumait la plupart des responsabilités ou obligations liées à son éducation, car je suis retraité de l’armée, et elle contribuait parfois aux frais de nourriture du foyer. Je souffre et en ce moment je m’occupe de combustion de charbon de bois pour notre survie. »

Aucun des hommes avec lesquels Amnistie internationale s’est entretenus n’a été consulté dans le cadre de l’enquête du Comité spécial.

Le frère d’une victime a déclaré : « Nous espérons seulement qu’un jour [les responsables] seront traduits en justice et que nous obtiendrons justice. Je sais qu’un jour la justice vaincra, mais j’ignore quand exactement. »

Le père qui a perdu sa fille a déclaré : « Je souhaite et je crois qu’il existe une loi et une institution qui garantissent que la justice est rendue. Je veux que justice lui soit rendue et que la personne qui a tué ma fille soit traduite devant les tribunaux. »

Après les manifestations, 515 personnes ont été arrêtées et poursuivies en justice pour diverses infractions, notamment pour destruction volontaire de biens, incendie volontaire, défilé illégal, comportement séditieux et homicide. D’après les témoignages recueillis par Amnesty International, certaines d’entre elles n’ont pas pu rencontrer leur avocat·e avant le procès et ont été déclarées coupables exclusivement sur la base du témoignage du policier ayant procédé à leur arrestation, sans qu’aucun autre élément de preuve ne soit présenté. Certaines ont déjà purgé leurs peines, d’autres sont toujours derrière les barreaux.

« Les autorités doivent protéger le droit de réunion pacifique et garantir que le maintien de l’ordre lors des manifestations respecte les normes nationales et internationales relatives aux droits humains », a déclaré Samira Daoud.

Complément d’information

Le 10 août 2022, des manifestations ont éclaté à Freetown et dans d’autres régions du pays dans le contexte du mécontentement croissant face à la flambée du coût de la vie. Certains manifestant·e·s réclamaient la démission du président Julius Maada Bio.

Le 23 août, les six policiers tués lors des manifestations ont été enterrés. Le 17 octobre 2022, les manifestant·e·s et les passant·e·s tués lors des manifestations ont été enterrés collectivement par le gouvernement au cimetière de Waterloo, à Freetown.