Protégeons les manifs

Le droit de manifester est aujourd’hui menacé partout dans le monde. Au cours des dernières années, plusieurs États ont instauré de plus en plus de contraintes pour compliquer la tenue des manifestations pacifiques. Celles et ceux qui s’expriment ou critiquent les autorités font l’objet de harcèlement et sont le plus souvent réduits au silence. Les autorités cherchent à dissuader les manifestant·e·s en les menaçant de coups et de détention arbitraire.
5 PAYS OÙ LE DROIT DE MANIFESTER EST MENACÉ
SÉNÉGAL
COLOMBIE
THAILANDE
IRAN ET PÉROU
Qu’est ce qu’une manifestation ?  

Les manifestations pacifiques sont un type d’action non-violente, spontanées ou non, autorisées ou non, qui permettent d’exprimer des désaccords et des revendications dans l’espace public, notamment lorsque les systèmes politiques, sociaux, économiques ou culturels existants écartent ou ignorent systématiquement ces demandes. 

UN DROIT FONDAMENTAL GARANTI SUR LE PLAN INTERNATIONAL

Le droit international  garantit le droit de manifester par un certain nombre de dispositions inscrites dans divers traités internationaux et régionaux qui, ensemble, confèrent une protection complète aux manifestant·e·s. Le droit de manifester est protégé par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.  

Manifestations et droits humains  

La participation à des manifestations est un moyen d’exprimer son point de vue et ses opinions, et peut permettre de  défendre des droits humains. Au fil des années, les manifestations ont contribué à garantir divers droits humains tels que le droit de vote pour les femmes et les droits des personnes LGBTI. Certaines manifestations ont marqué l’histoire par leur ampleur et par la large mobilisation qu'elles ont suscitée : les manifestations étudiantes contre la corruption et pour exiger une réforme démocratique sur la place Tiananmen et ailleurs en Chine en 1989; les soulèvements du Printemps arabe qui ont commencé en 2010 en Tunisie; ou plus récemment les manifestations Black Lives Matter.  

Manifestations et discriminations  

Les manifestant·e·s ne sont pas toutes et tous confronté·e·s aux mêmes obstacles. Les femmes, les personnes noires et racisées ainsi que les personnes LGBTI et non-binaires font face à des difficultés spécifiques quand elles souhaitent manifester et plus généralement investir l’espace civique, car elles sont souvent marginalisées et qu'il existe des normes sociales visant la limitation de leurs droits. Le durcissement du maintien de l’ordre pendant les manifestations est souvent aggravé par des lois et des pratiques discriminatoires qui touchent plus certains groupes que d’autres. Par exemple, en Afghanistan, les femmes n’ont tout simplement pas le droit de prendre part aux manifestations.  

Répression des manifestations  

Depuis plusieurs années nous assistons à une militarisation dans l'application des lois , y compris dans le contexte des manifestations. 

Les impératifs de sécurité publique sont l’un des principaux motifs invoqués par les gouvernements pour limiter les manifestations pacifiques. Les autorités prétendent souvent que les manifestations sont un danger pour l’ordre public. Cela entraine un maintien de l’ordre plus brutal, qui se traduit notamment par le recours à une force illégale et à des arrestations arbitraires, ou par le déploiement de forces de police à l’apparence menaçante, de par leur nombre et leurs équipements tels que des véhicules blindés, drones de surveillance, armes à feu et fusils d’assaut. De plus, le déploiement des forces armées afin de maintenir l’ordre, l’utilisation aveugle d’armes à feu, et le recours à mauvais escient aux armes à létalité réduite (matraques, irritants chimiques ou encore canon à eau) contribuent à augmenter le nombre de blessé·e·s et de morts parmi les manifestant·e·s.  

Technologie et manifestations  

Avec l’émergence des nouvelles technologies, qui étendent la capacité à manifester en ligne ou hors ligne, de plus en plus d’États et d’entreprises placent les espaces numériques sous contrôle en bloquant ou en ralentissant l’accès à Internet, une stratégie utilisée par exemple en Iran ou encore au Sénégal. L’utilisation d’outils technologiques sophistiqués à des fins de surveillance de masse ciblée visant les manifestant·e·s est également de plus en plus répandue, afin de les suivre après leur participation à une manifestation, violant ainsi leur droit à la vie privée. Ces outils, qui nuisent à la liberté d’expression et de réunion pacifique, ont aussi un impact démesuré sur les groupes marginalisés. Ainsi, le programme chinois de surveillance de masse non ciblée est possiblement utilisé contre les Ouïghours et d’autres groupes ethniques discriminés à travers le pays. À New York, aux États-Unis, la reconnaissance faciale a été utilisée au moins 22 000 fois depuis 2017. Cela a contribué à amplifier les pratiques policières discriminatoires sur le plan racial et menace le droit de manifester, en particulier celui de la communauté noire et d’autres minorités dont les membres risquent particulièrement d’être identifiés de manière erronée et arrêtés à tort. 

Amnistie internationale dénonce les attaques généralisées contre les manifestations pacifiques à travers la planète. L'organisation soutient les manifestant·e·s  et les mouvements sociaux qui ont pour but de permettre à chacun·e de mener des actions pacifiques et de se faire entendre en toute sécurité sans répercussions. 

LIRE LE RAPPORT AU COMPLET : Protégeons les manifs ! Pourquoi nous devons défendre notre droit de manifester

SÉNÉGAL

En mars 2021, alors que des manifestations spontanées ont éclaté dans plusieurs villes du pays, les forces de défense et de sécurité n'ont pas hésité à tirer à balles réelles sur des manifestant·e·s qui exerçaient leur droit de réunion, garanti par la Constitution sénégalaise et le droit international. Amnistie internationale a recensé 14 décès et 590 personnes blessées. En juin 2021, l'Assemblée nationale a modifié les chapitres du Code pénal et du Code de procédure pénale relatifs au terrorisme, dans une démarche qui a sérieusement restreint le droit à la liberté de réunion pacifique.  L'arrêté ministériel de 2011 prohibant toute manifestation dans le centre-ville de la capitale Dakar prévoit toujours une interdiction générale des rassemblements pacifiques.   

NOS RECOMMANDATIONS

Amnistie demande aux autorités sénégalaises :

  • de mener sans délai des enquêtes impartiales, indépendantes et approfondies sur les circonstances des tueries et des blessures de manifestant·e·s durant les événements de mars 2021;
  • et  de protéger et de garantir le droit de réunion pacifique au regard de la constitution du Sénégal et de ses engagements internationaux, y compris par la mise en œuvre des Lignes directrices de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP) pour le maintien de l’ordre par les agents chargés de l’application des lois lors des réunions en Afrique.  

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COLOMBIE

Depuis le 28 avril 2021, des milliers de personnes ont manifesté au cours d’une grève nationale de manière essentiellement pacifique dans les rues de différentes villes de Colombie afin de dénoncer, entre autres, les inégalités, le racisme et la violence. Les manifestant·e·s étaient de tous horizons. La mobilisation des groupes traditionnellement marginalisés tels que les Autochtones, les personnes noires ainsi que les agricultrices et agriculteurs des milieux ruraux, était très importante. Entre le 28 avril et le 30 juin 2021, les organisations de défense des droits humains ont signalé que 84 personnes ont été tuées lors des manifestations, 1 790 ont été blessées et 298 défenseurs des droits humains ont été attaqués ainsi que 2 000 cas de détention arbitraire. Le 3 mai 2021, des agents de la police nationale, en collaboration avec des agents de l’unité antiémeutes de la police (ESMAD) et du Groupe d'opérations spéciales de la police nationale colombienne (GOES), ont utilisé des armes létales contre des manifestants pacifiques. Au moins trois personnes ont été tuées par balles, dont Kevin Agudelo, un jeune joueur de football amateur du Siloé FC.  

NOS RECOMMANDATIONS

Amnistie internationale demande au gouvernement colombien :

  •  la démilitarisation de la police et le changement de la structure et du fonctionnement  de la police;
  • la conformité de l’usage de la force par la police nationale aux normes des droits humains;
  • la mise en place des mécanismes de surveillance des activités de la police ainsi que la garantie pour les victimes de violences policières d’un accès à la justice et à la réparation. 

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THAILANDE

Depuis 2020, au moins 1 500 manifestations ont eu lieu dans le pays demandant une réforme des systèmes démocratique et politique ainsi que le respect des droits LGBTI et environnementaux. Elles ont été marquées par la participation d’un nombre important de jeunes de moins de 25 ans. Les jeunes ont souvent été à l'avant-garde du militantisme dans l'histoire politique de la Thaïlande. Cependant, contrairement aux précédentes vagues de manifestations de masse dirigées par des étudiant·e·s universitaires, l’une des principales forces motrices de ce mouvement de protestation était  constitué par les élèves du secondaire. Tout au long des manifestations, les autorités thaïlandaises ont intensifié la répression systématique et souvent violente du droit de manifester tout en faisant un usage excessif de la force. En août 2021, des personnes non identifiées ont tiré à balles réelles sur des manifestant·e·s, tuant un garçon de 15 ans et blessant deux autres garçons âgés de 14 et 16 ans. En août 2022, des procédures pénales et civiles ont été engagées contre plus de 1 800 personnes, dont plus de 280 enfants, pour avoir pris part à ces manifestations pacifiques et exprimé des opinions jugées critiques à l'égard des actions du gouvernement.  

NOS RECOMMANDATIONS

Amnistie internationale demande au gouvernement thaïlandais :

  • de lever toutes les poursuites visant des manifestant·e·s mineurs pacifiques; de mettre fin à toutes les formes d’intimidation et de surveillance;
  • et d’abroger ou de modifier les lois invoquées qui restreingnent le droit des mineur·e·s de manifester, de sorte à ce qu’elles soient conformes au droit international relatif aux droits humains. 

AGIR

 

 

 

 

 

 

IRAN

Chaque année, des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants sont interrogés et détenus arbitrairement pour la simple raison d'avoir exercé pacifiquement leur liberté d'expression. L'impunité qui prévaut pour les forces de sécurité et la réponse muette de la communauté internationale à la suite des manifestations de décembre 2017 et janvier 2018 ont enhardi les autorités iraniennes à intensifier leur recours illégal à la force meurtrière lors des manifestations de masse qui ont suivi en novembre 2019, entraînant la mort de centaines de personnes, dont des enfants, en moins de cinq jours. En septembre 2022, de nouvelles manifestations ont commencé à se répandre à travers l'Iran après la mort en détention de Mahsa (Zhina) Amini, après son arrestation arbitraire par la police des mœurs qui applique les lois iraniennes abusives, discriminatoires et dégradantes sur le port du voile forcé. Depuis décembre 2022, les autorités iraniennes ont exécuté 4 hommes pour leur participation au mouvement de protestation, et une vingtaine d’autres personnes risquent d’être exécutées en lien avec les manifestations. 

NOS RECOMMANDATIONS

Amnistie exige des autorités iraniennes :

  • d’annuler toutes les condamnations et les peines de mort;
  • de veiller à ce que toute personne accusée d'une infraction pénale soit jugée dans le cadre d'une procédure respectant les normes internationales d'équité des procès sans recours à la peine de mort et que les principes de la justice pour mineurs soient respectés pour les enfants accusés;
  • de libérer toutes les personnes détenues pour avoir exercé leurs droits à la liberté d'expression, d'association et de réunion pacifique;
  • de permettre aux détenus d'accéder à leurs familles et aux avocats de leur choix, de les protéger de la torture et d'autres mauvais traitements et d’enquêter sur les allégations de torture, et de traduire en justice toute personne jugée responsable dans le cadre de procès équitables. 

AGIR

Amnistie internationale s’oppose à la peine de mort en toutes circonstances, sans exception, quelles que soient la nature ou les circonstances du crime commis, la culpabilité ou l’innocence ou toute autre situation du condamné, ou la méthode utilisée pour procéder à l’exécution. La peine de mort est une violation du droit à la vie et le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit. 

 

 

 

 

 

 

PÉROU

Dès le début des manifestations de masse dans les différentes régions du pays en décembre 2022, l'armée et la police nationale péruviennes ont utilisé illégalement et sans discernement des armes meurtrières et d'autres armes à létalité réduite contre la population. Dans un contexte de grande incertitude politique, les premières expressions de malaise social sont venues de plusieurs des régions les plus marginalisées du Pérou dont la population, majoritairement autochtone, a été historiquement victime de discriminations et d'inégalités sur le plan de la participation politique, et continue à lutter pour accéder aux droits fondamentaux à la santé, au logement et à l'éducation. La répression des manifestations à fait 49 morts de décembre à février et des similarités dans le recours à la force contre les manifestant·e·s dans différentes zones du pays indiquent une possible stratégie ordonnée ou tolérée par de hauts fonctionnaires. Par ailleurs, au lieu de condamner ce recours excessif à la force, les plus hauts représentant·e·s de l’État péruvien l'ont encouragé en saluant publiquement les agissements des forces de sécurité, tout en montrant du doigt les manifestant·e·s, en les qualifiant de « terroristes » et en répandant intentionnellement de fausses informations. Malgré les graves violations des droits humains perpétrées, le parquet général du Pérou n'a pas mené d'enquêtes rapides et approfondies.

 

NOS RECOMMENDATIONS

Amnistie exige des autorités péruviennes :

  • de veiller à ce que des enquêtes approfondies et impartiales soient menées dans les meilleurs délais,
  • une assistance technique aux mécanismes régionaux ou internationaux de défense des droits humains, dans le cadre des enquêtes pénales,
  • de garantir l'accès des victimes à la justice,
  • de condamner et de proscrire le recours par les forces de sécurité à la force meurtrière et à des munitions interdites telles que les plombs en réaction aux manifestations
  • de procéder à une évaluation urgente du racisme structurel qui imprègne les actions des institutions de l'État

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Allez plus loin :  

Visionnez le webinaire : Droit de manifester en Afrique 

En apprendre plus sur les droits humains à travers le cours de l’Académie des droits humains 

Être au courant des nouvelles en lien avec le droit de manifester en visitant le site d’Amnistie internationale  

Le droit de manifester au Canada et au Québec

Au Québec et au Canada, la répression des manifestations et les atteintes à l’exercice du droit de manifester sont également des enjeux. Bien que la campagne d’Amnistie internationale se concentre sur les enjeux à l’international, nous vous invitons à vous informer sur les réalités locales d’ici.  Afin d’en apprendre plus sur le droit de manifester au Canada et au Québec, veuillez consulter les ressources ci-dessous développées par la Ligue des droits et libertés en partenariat avec le Mouvement d’éducation populaire et d’action communautaire du Québec (le MÉPACQ) et le Service aux collectivités de l'UQAM.  

Ressources :  

MYTHES ET RÉALITÉS SUR LE DROIT DE MANIFESTER (LIGUE DES DROITS ET LIBERTÉS)

LE DROIT DE MANIFESTER AU QUÉBEC : LES RÈGLEMENTS MUNICIPAUX SOUS LA LOUPE (LIGUE DES DROITS ET LIBERTÉS ET SERVICE AUX COLLECTIVITÉS DE L'UQAM)

Site internet : Droit de manifester (Ligue des droits et libertés, MÉPACQ et Service aux collectivités de l’UQAM)