• 23 juin 2021
  • Canada
  • Article d'opinion

Fabrice Vil | Discussion et entretien

Entrevue
Par Gabrielle Pauzé
Directrice par intérim des communications et stratégies d’AICF

Dernièrement, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec Fabrice Vil sur le racisme systémique.

Ancien entraineur de basket-ball, avocat, fondateur et directeur général de Pour 3 points, un organisme qui coache les coachs à accompagner les jeunes en milieux défavorisés, il en avait long à dire sur le sujet.

Résumer ses propos en quelques lignes relève de l’impossible. Je vous propose néanmoins, en guise de point de départ pour vous familiariser avec cette thématique  combien prenante, un résumé de ses réponses à mes questions.

AICF : LE RACISME SYSTÉMIQUE, UNE QUESTION DE DROITS HUMAINS ? 

Fabrice Vil : Quand on parle de racisme, on parle essentiellement de ce à quoi un humain devrait avoir droit et qui lui est retiré en raison du présupposé que cette personne est moins qu’un humain ou un humain inférieur. 

Les droits fondamentaux, le droit international, la Charte canadienne des droits et libertés, la Charte québécoise des droits et libertés de la personne servent à ce que l’humain soit respecté dans sa nature la plus complète. La lutte contre le racisme est donc inévitablement une question de droits humains. 

AICF : LE CANADA FAIT-IL VRAIMENT PREUVE DE PLUS D’OUVERTURE ?

FV : En théorie, on pourrait comparer les sociétés les unes aux autres. L’important c’est de se demander quelle est l’intention. Se dire qu’on est « moins pire » que, par exemple, les États- Unis : Est-ce vraiment pertinent ? L’intention devrait plutôt être tout simplement de viser l’élimination du racisme, un immense contrat de société, certains diront même une utopie. 

Si on fait tout de même une comparaison, si on regarde des populations comme celles du Canada ou du Québec, la question qu’il faut véritablement se poser c’est la question du nombre. Même si on voit plus régulièrement certains événements racistes aux États-Unis, comment évalue-t-on la situation au prorata de la population ? Il ne suffit que de se pencher sur les plus récents événements anti-asiatiques, je vous assure qu’on fait piètre figure…

Mais surtout, dire qu’on est « moins pire », ça ne change rien à la nécessité de lutter contre tous les problèmes qui affectent les populations autochtones, noires et autrement racisées. J’ai l’impression que le seul effet que ça peut avoir c’est de lutter avec moins de robustesse, alors que la nécessité d’agir est encore là. Affirmer qu’on est « moins pire », c’est médiocre et destructeur parce qu’on ne reconnaît pas l’essence du problème, et surtout, certains individus continuent d’être traités comme des personnes inférieures.

La question qu’on devrait se poser comme société est plutôt, est-ce qu’on se veut une terre d’accueil inclusive ?

AICF : DERNIÈREMENT ON A BEAUCOUP ENTENDU QUE « DIRE QU’IL Y A DU RACISME SYSTÉMIQUE AU QUÉBEC, C’EST FAIRE LE PROCÈS DES QUÉBÉCOIS » ...

FV : Premièrement, « dire qu’il y a du racisme systémique au Québec, c’est faire le procès des Québécois » est une affirmation raciste en soi. C’est présupposer que les personnes qui font cette affirmation ne sont pas des Québécois et des Québécoises. Je m’explique : c’est du racisme car on présuppose que les personnes qui sont mises à procès sont des personnes d’ascendance canadienne-française et on exclut ainsi les personnes qui affirment la présence du racisme systémique, à savoir les personnes autochtones, racisées ou issues de l’immigration.

Dans un deuxième temps, si on s’arrête à la question du langage, ça limite le spectre de comment on regarde le racisme, car on évacue du racisme systémique l’aspect de crise multifactorielle. On associe, à tort, le racisme uniquement à la notion de crime. On associe le racisme aux néo-nazis, au Ku Klux Klan ou au meurtre de George Floyd, mais on oublie que le racisme n’est pas uniquement criminel. Chemin faisant, on fait fausse route car on évacue complètement le phénomène sociologique qu’est le racisme systémique.

Prenons l’exemple récent du CISSS des Laurentides qui a tenté, à 10 reprises, l’automne dernier, de recruter des préposé·e·s aux bénéficiaires obligatoirement « de couleur de peau blanche ». 

Quand un ministre affirme qu’il doit mener une enquête sur cette situation avant de conclure à du racisme, on réduit significativement le racisme à sa plus simpliste expression, haineuse et malveillante, intentionnelle, alors que c’est manifeste ici qu’on parle de racisme. Même si la ségrégation n’est peut- être pas intentionnellement oppressante pour les personnes racisées, l’acte en soi est, et demeure raciste. Imposer une enquête préalable à toute conclusion de racisme, c’est ni plus ni moins se refuser à accepter tout le construit autour du racisme, qu’il soit conscient ou inconscient, intentionnel ou non, qui a mené à la publication d’une telle annonce à l’origine.

La nécessité de mener une enquête, au sein d’un ministère, avant de pouvoir conclure qu’un acte raciste a été commis dans les circonstances présentes est en soi une manifestation du racisme systémique. Car la négation du racisme, lorsqu’il est présent, est en soi raciste. 

Par où commencer si on ne voit même pas le racisme au sein du système de santé dans un cas comme celui-là ? Je suis d’avis qu’il faut d’abord et avant tout reconnaître que le racisme systémique est un phénomène sociologique, pas une simple question de moralité. 

« On n'enlève de valeur à personne en reconnaissance que le racisme systémique existe. À quoi ça mène de prétendre qu'il n'y en a pas ? »

— Fabrcie Vil

Ce qu’il faut, c’est reconnaître que ça existe et y répondre. C’est la même chose avec la crise climatique ou l’homophobie. C’est en pointant le problème qu’on est capable de le confronter et d’y remédier.

AICF : COMMENT ÊTRE UN BON ALLIÉ ET COMMENT REMÉDIER AU RACISME SYSTÉMIQUE ?

FV : Il n’y a pas de liste prescriptive, de document qui élabore toutes les solutions. Tout est à faire, à tous les niveaux. C’est à chacun de trouver sa réponse et l’action possible qui permettra de contrer le racisme systémique. 

Les solutions que trouvera un·e jeune ne seront pas les mêmes que celles d’un·e représentant·e du gouvernement. Ce qui est commun, c’est la nécessité de s’éduquer, d’écouter, d’effectuer une introspection, de prendre parole et de prendre action.

Aujourd’hui et au stade où la société se situe par rapport au racisme systémique, il ne suffit plus de se poser la question « en quoi peut-on être un·e allié·e dans cette lutte ? ». Il faut être proactif et, selon ses pouvoirs, trouver des solutions porteuses de changement et faire avancer la société vers l’éradication du racisme systémique.

Cet article est extrait du Magazine AGIR spécial 60 ans d'Amnistie internationale. Pour en consulter l'intégralité, rendez-vous sur notre boutique !

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