• Maroc et Sahara occidental

Omar Radi - Livres comme l'Air

Portrait dE l'auteur

Omar Radi est un journaliste d’investigation et un militant marocain. Il est l’un des fondateurs et journalistes du site marocain indépendant d’actualités Le Desk, qui publie des contenus critiques à l’égard des autorités. Omar Radi a été pris pour cible par les autorités marocaines qui ont utilisé le logiciel espion fabriqué par l’entreprise israélienne NSO Group. Omar Radi, qui a critiqué à maintes reprises le bilan du gouvernement de son pays en matière de droits humains, a été arrêté en juillet 2020, et condamné en prison le 19 juillet 2020 à six ans de prison. De graves violations des garanties d’une procédure régulière ont été identifiées au cours du procès.

Signez la pétition pour demander aux autorités qu'elles libèrent Omar immédiatement et sans conditions !

LIVRES COMME L'AIR

Dans le cadre du projet Livres comme l’Air, des écrivains québécois témoignent leur solidarité à des écrivains emprisonnés ou menacés à travers le monde en leur rédigeant des dédicaces. 

VOIR TOUS LES AUTEURS

Salon du livre de Trois-Rivières

Né en Beauce, Alexandre Dostie est un artiste autodidacte, poète et cinéaste. Ses courts métrages, Mutants (2016) et Je finirai en prison (2019), gagnent la faveur des critiques et des jurys. Depuis 2009, Alexandre est très actif à Trois-Rivières, où il demeure. Son implication culturelle inclut l’organisation du OFF-Festival de poésie et du Long week-end du court ainsi que son rôle de directeur artistique chez Traveling. En 2021, il remporte le prix du Créateur de l’année en Mauricie, remis par le CALQ. Il développe présentement un premier long métrage intitulé SHAPE. Que ceux qui m’aiment me suivent est son deuxième recueil de poésie. 

Salut Omar,

J’ai décidé de te dédicacer un livre. Mon livre. Un recueil de poèmes terre à terre dans un français québécois bien bâtard. Je ne sais pas si tu vas tout comprendre... Honnêtement, je ne sais pas trop à quoi ça peut te servir dans ta cellule. J'ai l'impression qu'un procès juste et équitable te serait plus utile. Ils t'ont condamné à 6 ans de prison pour espionnage et pour viol. Des accusations graves et étayées par bien peu de preuves dans un procès bâclé, mais qui faisait l'affaire du régime. Parce que tu es celui qui a décidé de consacrer sa vie à exposer leur corruption.

L'ironie dégueulasse de ce dont ils t'accusent m'a scié les jambes.  Pour espionnage, alors que l'autorité marocaine espionne impunément ses citoyens, ses opposants politiques et ses journalistes depuis des décennies. Que le gouvernement t'espionne personnellement depuis 2011. Et puis pour viol, alors que les droits des femmes sont bafoués systématiquement dans ton pays et qu'il est presque impensable pour elles de trouver justice pour un crime sexuel en passant les portes d'un commissariat. J'imagine qu'on trouverait la force d'en rire si cette blague cruelle ne nous foutait pas tant la rage.

Ton affaire m'a fait penser à celle de Julian Assange tellement la stratégie pour te mettre hors d'état de nuire est similaire. Pourtant, lui ce n’est pas une monarchie autoritaire qui a commandé sa persécution, mais le gouvernement Démocrate de Barack Obama. Persécution qui se poursuit à ce jour, deux administrations plus tard, mené par ce pays soi-disant champion de la démocratie. Au Canada, on n’est pas mieux. Notre gouvernement supporte l'extradition d'Assange aux USA pour subir un procès tout aussi fantoche que le tient. Et tu l'auras deviné, notre gouvernement n'a rien à dire pour ta défense. Que doit-on comprendre de toute cette hypocrisie ? À quel point on peut dire que c’est mieux ici que chez vous ?

Tu vois, moi c'est ça qui me fait peur. J'ai l'impression qu'y en a plus de good guys dans nos institutions capturées. Qu'y en a plus de héros. Les vilains enfilent des capes de slogans, retournent nos valeurs et nos combats contre nous, pis ils nous fourrent comme ils l’ont toujours fait. Comme t'as déjà dit en entrevue : Ils n’ont aucune dignité. Les vrais héros sont sur le terrain et racontent la réalité du terrain. On les musèle, on les dégriffe, on les emprisonne... Comme toi. En occident, la stratégie est plus subtile, mais le résultat est le même. Le journalisme indépendant et non partisan semble un métier toujours plus difficile à faire. Exprimer le fond de sa pensée, s'opposer au pouvoir où à la culture dominante est un exercice de plus en plus périlleux. Qu’est-ce qu’un poète peut faire dans tout ça ? Je ne sais pas. Ces vocations auxquels nous font succomber nos convictions demeurent mystérieuses. Qu’est-ce qu’un journaliste emprisonné peut faire pour la suite du monde ? Le referais-tu sachant ce qui t’attendait ? Tu aurais le droit de dire non. Je ne t’en voudrais pas… Cette vie d'obéissance qu'ils veulent nous vendre peut paraître si douce parfois.

Sache que peu importe la suite, ton sacrifice m’inspire. C'est ton cœur qui parle à travers tes convictions et ton cœur parle au mien. Dans ce livre, je parle de cette colère qui m'habite, de cet amour qui cherche son souffle, de ce que j'ai appelé ma lente noyade. J’imagine que derrière tout cette intrigue sociopolitique dans laquelle tu es forcé de jouer, ces questions bien humaines t'interpellent toujours. Si tel est le cas puissent mes mots t’apporter un peu de réconfort. Sinon, peut-être préféreras-tu en déchirer les pages de ce livre pour te rouler quelques joints de hasch. Hachich marocain de contrebande que tu auras échangé contre de ton talent de plume pour d'autres prisonniers qui voudraient écrire à leurs blondes ou à leurs mères... Déjà, si ce livre pouvait te servir à passer le temps, de la manière que tu veux, il aurait fait sa job. Toi tu m’auras rappelé que la recherche de vérité est révolutionnaire dans un monde qui l’a troqué pour la recherche d’une autorité qui prétend la détenir. Tiens bon, Omar!

Alex