• 30 nov 2018
  • Mexique
  • Communiqué de presse

Passage en revue des dégâts : Enrique Peña Nieto

Par Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques à Amnistie internationale

Le 30 novembre est officiellement le dernier jour du mandat du président Enrique Peña Nieto, qui laisse derrière lui l’un des bilans les plus désastreux de tout l’hémisphère en ce qui concerne les droits humains. Cette crise des droits humains résulte de toute une série d’erreurs et de mauvaises décisions prises par son gouvernement et par ceux qui l’ont précédé.

Quand Enrique Peña Nieto est arrivé au pouvoir, il y a six ans, le Mexique était déjà empêtré dans une grave crise de la violence, avec des milliers de personnes sous le feu des tirs croisés de la « guerre contre la drogue ».

Lors de sa campagne électorale, Enrique Peña Nieto a promis de régler cette crise en recourant à plusieurs stratégies. Il est à présent évident que ces promesses n’étaient que des paroles creuses. Au lieu de changer de stratégie, il a accru la militarisation, créant ainsi un terrain propice à de graves violations des droits humains.

En février 2014, dans l’espoir de pouvoir influencer un changement de stratégie drastique permettant de placer les droits humains au cœur de l’action gouvernementale, le secrétaire général d’Amnistie internationale de l’époque, Salil Shetty, et moi-même avons rencontré le président Enrique Peña Nieto dans sa résidence officielle, Los Pinos. Comme le Mexique a toujours été une priorité pour Amnistie internationale, et compte tenu de la complexité de la situation dans laquelle se trouvait le pays, nous avons dit au président, lors de cet entretien, que nous allions mettre en place, l’année suivante, notre bureau du Secrétariat international pour les Amériques, et que son siège serait installé à Mexico. Au cours de cet entretien, nous avons aussi remis à Enrique Peña Nieto et aux membres de son gouvernement un document exposant des recommandations et des préoccupations précises, basé sur notre expérience sur le terrain et sur les voix légitimes de nombreuses victimes et d’organisations nationales de défense des droits humains.

Le président Enrique Peña Nieto a dit qu’il était très préoccupé par la situation des droits humains dans le pays, et a promis de prendre des mesures concrètes pour améliorer la situation concernant les points que nous avions abordés, donnant des instructions à chacun des membres de son gouvernement ayant participé à cette réunion, notamment le ministre de l’Intérieur, le ministre des Affaires étrangères et le procureur général fédéral. Malgré la circonspection qu’il faut toujours observer quand on travaille pour la défense des droits humains, et malgré notre scepticisme à l’égard des promesses du gouvernement, nous sommes sortis de cet entretien avec un sentiment d’optimisme prudent. Nous savions qu’il s’agissait d’une tâche immense, mais espérions que le gouvernement s’y attèlerait et prendrait les mesures nécessaires pour renverser la situation.

Six ans se sont depuis écoulés, et le bilan des dégâts causés par le gouvernement sortant en termes de droits humains est déplorable, et un grand nombre d’événements atroces qui n’avaient pas encore été rendus publics sont à présent dévoilés. L’héritage que laisse le président sortant se transcrit en chiffres terrifiants : plus de 37 000 personnes victimes d’une disparition, près de 60 % de ces disparitions ayant été recensées au cours des six dernières années ; multiples cas d’exécutions extrajudiciaires perpétrées par les forces de sécurité ; et recours généralisé à la torture – notamment à la torture sexuelle –, qui est devenue une procédure standard du système judiciaire. Les deux dernières années ont été les plus violentes, avec en moyenne plus de 2 000 meurtres enregistrés chaque mois ; une épidémie de féminicides dans tout le pays ; de plus, le Mexique est devenu l’un des pays les plus dangereux au monde pour les défenseur·e·s des droits humains et les journalistes ; et le fléau de la discrimination et des inégalités continue de toucher la majeure partie de la population du pays, où l’impunité et la corruption sont la règle.

En septembre 2014, alors que cette année-là nous avions entendu le gouvernement prendre des engagements, un terrible événement a entaché non seulement le mandat présidentiel d’Enrique Peña Nieto, mais aussi l’histoire du pays. Des étudiants de l’école de formation d'enseignants d’Ayotzinapa, dans l'État de Guerrero, ont été attaqués par les forces de sécurité qui étaient censées assurer leur protection. Il s’agit de la plus grave tragédie de cette crise des droits humains, et du plus terrible exemple de défaillance de ce système. Six personnes ont été tuées, plusieurs dizaines d’autres blessées, et 43 étudiants ont été soumis à une disparition forcée. On ignore toujours ce qu'il est advenu d'eux.

S’en est suivie une série de faux pas et de réactions de la part des autorités qui ont révélé sa totale incompétence, le manque de volonté politique de résoudre cette crise, et l’indifférence du gouvernement du président Enrique Peña Nieto à l’égard de tous les cas de graves violations des droits humains. Malgré les initiatives prises par les familles des 43 étudiants et par les organisations de défense des droits humains qui les ont courageusement accompagnées, sans parler de l’indignation exprimée par la société et la communauté internationale, le gouvernement s’est accroché à sa « vérité historique » – qui n’a rien à voir avec la vérité – pour couvrir des crimes de droit international. Ni les preuves soumises par un groupe d’experts, ni les multiples allégations d’irrégularités et de fausses preuves, ni la condamnation de ces atrocités et les campagnes mondiales réclamant justice n’ont permis d’amener Enrique Peña Nieto et son gouvernement à prendre au sérieux cette affaire ainsi que la grave crise dans laquelle le pays se trouvait déjà plongé.

Les réactions du gouvernement d’Enrique Peña Nieto face aux défis en matière de droits humains ont été marquées par leur intolérance vis-à-vis des critiques et des suggestions de la société civile. Les nombreuses attaques frontales, s’accompagnant d’espionnage et de campagnes de diffamation, visant des organisations de défense des droits humains et même des mécanismes régionaux et des mécanismes des Nations unies ont représenté l’une des caractéristiques de son gouvernement.

En 2015, j’ai assisté à Genève à la présentation d’un rapport du rapporteur spécial de Nations unies sur la torture de l’époque, et éminent avocat spécialiste des droits humains, Juan Méndez. Dans ce rapport, il expliquait de façon détaillée que la torture était devenue une pratique généralisée dans le pays. La réponse du gouvernement aux conclusions de Juan Méndez n’a pas seulement été vague, agressive et incohérente, elle a aussi eu l’effet d’une gifle pour la population mexicaine : en raison de cette attitude de mépris, le gouvernement a manqué une occasion de mettre en œuvre des recommandations concrètes concernant l’éradication de cette pratique qui assombrit terriblement le système judiciaire et entrave l’accès à la justice. 

Son mandat présidentiel a également été marqué par des cas d’exécution extrajudiciaire, notamment dans les affaires de Tlatlaya, d’Apatzingán et de Tanhuato, et par de nombreux signalements de graves violations commises par l’armée, quasiment en toute impunité et souvent dans un contexte de collusion entre les autorités et le crime organisé. Les cas de ce type mettent en lumière les effets d’une politique brutale de militarisation, une politique que le gouvernement a régulièrement clamé avoir abandonnée.

Pour finir sur un coup d’éclat en ce qui concerne cette stratégie en matière de sécurité, Peña Nieto a soumis une proposition de loi sur la Sécurité intérieure, qui a été approuvée par le Congrès en décembre de l’an dernier. Avec cette loi, le gouvernement a cherché à institutionnaliser sa stratégie sécuritaire militarisée ayant échoué, et à transférer à l’armée de terre et à la marine nationale le contrôle de la sécurité publique, alors que les militaires ont perpétré de si nombreuses violations des droits humains au cours de ce mandat présidentiel. Cette loi a finalement été jugée contraire à la Constitution par la Cour suprême, et cette décision a permis l’adoption d’une nouvelle stratégie visant à lutter contre la crise que connaît le pays en ce qui concerne la sécurité.  

L’absence de justice fait aussi partie des dettes laissées par ce gouvernement. Avec le départ du gouvernement d’Enrique Peña Nieto, et comme l’on ignore si le nouveau gouvernement va lutter contre l’impunité, les victimes de violations des droits humains continuent de voir leurs droits méprisés et doivent entamer un difficile périple vers la vérité, la justice et des réparations, qui sont toutes nécessaires pour bâtir un avenir où de telles atrocités et de telles souffrances ne se reproduiront plus jamais.

Cependant, malgré ces sombres perspectives, nous avons appris, à Amnistie internationale, au cours des presque 60 dernières années, que la justice finit toujours par prévaloir, même si cela prend beaucoup de temps. Nous serons donc présents, nous tenant aux côtés des courageux défenseurs des droits humains et de leurs organisations, et accompagnant les victimes dans leur combat, avec les éléments de preuve que nous avons rassemblés au fil des ans.

Cet article a été publié en espagnol le Huffington Post.