• 16 avr 2018
  • Brésil
  • Communiqué de presse

Nous devons faire en sorte que l’homicide de Marielle Franco ne reste pas impuni

La dernière fois que j’ai écrit sur les nombreux dangers auxquels fait face mon cher pays, j’ai expliqué à quel point il était difficile d’être une femme au Brésil, et encore plus d’être une femme militante noire et lesbienne née dans une favela.

Je voulais demander au monde de ne pas ignorer un ensemble de projets de loi qui porteraient atteinte aux droits des minorités et des personnes les plus marginalisées de la société. J’avais averti que cela rendrait la vie de personnes comme moi plus difficile.

Ma partenaire de lutte Marielle Franco a été abattue par balle il y a un mois, pendant que j’étais à l’étranger pour travailler avec d’autres courageuses femmes faisant campagne contre les homicides de jeunes Noirs commis par la police au Brésil, en Jamaïque et aux États-Unis. Nous avions associé nos efforts et nous avions prévu de faire entendre nos voix afin de faire cesser les homicides incessants imputables à certains de ceux qui sont censés nous protéger.

L’annonce de sa mort a été un véritable choc. J’ai été prise de vertiges et je n’arrêtais pas de trembler. Je pouvais à peine contenir ma peine et ma colère.

Alors que les souvenirs de mes rencontres avec Marielle me submergeaient, j’ai immédiatement ressenti le besoin d’en savoir plus, de faire quelque chose.

Je me suis souvenue d’un après-midi ensoleillé il y a un peu plus d’un an, lorsque nous nous sommes vues par hasard à un dîner à Rio de Janeiro. Marielle venait d’être élue par une grande majorité au Conseil municipal de la ville et je venais de prendre mes fonctions de directrice exécutive d’Amnistie internationale Brésil.

Je me souviens de nos sourires et de notre enthousiasme. Nous savions que nous faisions partie des bénéficiaires privilégiés de la lutte de la communauté noire, et particulièrement de la lutte des femmes noires originaires des favelas. Nous avions 20 ans d’écart, mais nous savions toutes deux qu’une opportunité et une responsabilité extraordinaires se présentaient à nous : représenter les femmes noires des favelas et d’autres zones périphériques dans des sphères dans lesquelles des personnes comme nous n’avaient jamais été respectées ou prises en considération.

Je suis née dans la favela de Morros dos Cabritos, à Copacabana, et voilà que je commençais un nouveau chapitre de ma vie en tant que directrice de la section brésilienne de l’une des organisations de défense des droits humains les plus importantes du monde. Dans le même temps, Marielle, qui venait de la favela de Maré, dans le nord de la ville, avait été élue parmi 1 625 candidats et avec plus de 46 000 voix, soit le cinquième meilleur score, pour siéger au Conseil municipal qui regroupe 51 élus.

Ce jour-là, nous étions heureuses, fières et certaines que nous pouvions faire face aux défis et aux responsabilités qui nous attendaient. Nous pensions que nous allions continuer à faire tomber les barrières.

La dernière fois que nous nous sommes vues, nous étions à un événement lors duquel Marielle avait rendu hommage au nom du Conseil municipal de Rio à Conceição Evaristo, un ami proche et l’un des plus grands auteurs du Brésil. C’était une autre occasion de célébrer notre collaboration.

Déterminée à transformer la société et à se battre pour celles et ceux qui avaient besoin de protection, Marielle arborait ce sourire permanent qui donnait l’impression que tout était possible.

Grâce à notre étroite collaboration pour atteindre des objectifs communs, j’ai pu m’apercevoir à quel point elle était inspirante et remarquable. Son refus d’accepter les nombreuses injustices qu’elle et d’autres personnes comme elle subissaient à Rio était devenu non plus un fardeau, mais une force pour les surmonter.

Face à ces injustices, elle n’était pas en colère, mais enjouée. Elle n’était pas faible, mais déterminée. Face à ces injustices, elle ne se sentait pas rabaissée, mais fière de se battre pour celles et ceux qui ne pouvaient pas faire entendre leur voix.

Un mois après sa mort, je suis plus déterminée que jamais à me battre et à mobiliser les gens pour demander la justice pour Marielle.

Les autorités brésiliennes n’ont pas encore déterminé qui a abattu Marielle, qui a commandité l’assassinat et pourquoi. Mais plus nous recevons d’informations sur ce qu’il s’est passé, plus il semble que Marielle ait été tuée en raison de la personne qu’elle était : une femme noire fière, née dans une favela, une femme lesbienne et militante qui dénonçait les violences que certains membres de la police et de l’armée font subir aux personnes les plus pauvres.

Sommes-nous dangereux au point qu’ils ressentent le besoin de nous réduire au silence ? Qui sera le prochain ou la prochaine ? L’un ou l’une de mes partenaires dans les favelas qui demandent que cessent les opérations policières et militaires destinées à nous « pacifier » ? L’une de mes alliées des organisations de défense des droits des femmes qui se battent contre les violences patriarcales ? Ou l’un ou l’une de mes collègues qui défendent les droits humains au Brésil ?

Il faut beaucoup de courage, de détermination et de solidarité pour affronter nos peurs et mettre fin à ces souffrances une bonne fois pour toutes.

Les autorités brésiliennes ne s’attendaient probablement pas à une réaction mondiale massive à l’assassinat de Marielle.

Ici, à Rio, nous savons ce que nous devons faire pour leur prouver qu’elles avaient tort : affronter notre douleur, nous remettre, nous regrouper et agir ensemble contre l’impunité. Nous pouvons le faire.

Mais encore une fois, je dois envoyer cet appel de détresse à vous tous, en dehors de mon pays. Il sera plus facile pour nous de gagner ce combat si vous faites également entendre votre voix.

Marielle citait souvent la philosophie ubuntu : « Je suis parce que nous sommes ».

Aujourd’hui c’est à nous de nous battre pour Marielle. Nous sommes parce qu’elle était.