• 5 juin 2025
  • République démocratique du Congo
  • Communiqué de presse

RDC. Les victimes attendent toujours la justice, la vérité et des réparations, 25 ans après la guerre de Kisangani

Vingt-cinq ans après la guerre des six jours à Kisangani, en République démocratique du Congo (RDC), lors de laquelle des centaines de civil·e·s ont été tués et des milliers d’autres blessés, les victimes attendent toujours la vérité, la justice et, pour la plupart, des réparations, a indiqué Amnistie internationale dans un nouveau rapport ce 5 juin.

Le rapport intitulé « Le Congo, ça n’émeut personne ? » 25 années sans justice pour la guerre des six jours à Kisangani, montre qu’il n’y a pas eu une seule enquête criminelle ni un seul procès depuis le conflit sanglant entre les forces rwandaises et ougandaises. Lors des combats qui se sont déroulés dans cette ville du nord-est du pays à partir du 5 juin 2000, les deux armées se sont livrées à un pilonnage intense et aveugle contre des zones civiles densément peuplées et ont tué intentionnellement des civil·e·s, violé des femmes et pillé des maisons.

Les tribunaux de la RDC n’ayant pas engagé de procédures en justice et la Cour pénale internationale (CPI) n’étant pas compétente pour les crimes commis en RDC avant 2002, les personnes soupçonnées de porter une responsabilité pénale dans ces crimes n’ont jamais été poursuivies ni punies.

« Il est absolument inacceptable que, pendant 25 ans, pas une seule personne n’ait été amenée à répondre des crimes perpétrés à Kisangani, pas une, a déclaré Tigera Chagutah, directeur régional d’Amnistie internationale pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe. Le fait que personne n’ait été poursuivi pour les crimes passés a alimenté une spirale de la violence en RDC, qui a impliqué des acteurs, des armes et des souffrances similaires. La justice ne saurait attendre 25 années supplémentaires. Il incombe aux autorités judiciaires congolaises d’ouvrir des enquêtes et, s’il existe suffisamment de preuves recevables, de poursuivre les personnes soupçonnées d’être responsables des crimes commis sur le territoire de la RDC. »

En 2022, la Cour internationale de justice (CIJ) a ordonné à l’Ouganda de verser des réparations, à l’issue d’une procédure engagée par la RDC à l’encontre de l’Ouganda et du Rwanda. La CIJ n’était pas compétente s’agissant du Rwanda. En 2024, des victimes ont enfin commencé à recevoir une indemnisation, mais le processus a été entaché par des allégations de mauvaise gestion et de détournement.

Amnistie internationale a interrogé plus de 50 personnes, principalement des victimes, ainsi que des organisations de la société civile et des fonctionnaires de justice.

Les guerres de trois jours, d’un jour et de six jours à Kisangani

La guerre des six jours est l’un des conflits qui ont opposé les armées ougandaise et rwandaise à Kisangani entre août 1999 et juin 2000, semant la mort et la destruction.

La première guerre, dite « guerre des trois jours », a commencé le 14 août 1999 : les deux armées ont échangé des coups de feu et des tirs de mortier aveugles, qui ont tué plus de 30 civil·e·s et en ont blessé plus de 100.

Après près d’un an de calme relatif, les combats ont repris le 5 mai 2000 et n’ont duré cette fois-ci qu’une journée. Un mois après, jour pour jour, la guerre des six jours a éclaté. Ce conflit a été plus intense. Sans opérer de distinction entre civil·e·s et combattants, les deux armées ont pilonné aveuglément Kisangani, tuant plusieurs centaines de civil·e·s et en blessant des milliers.

Un militant de la société civile qui a survécu aux trois guerres de Kisangani et les a documentées a raconté :

« Pendant 6 jours il n’y a que des bombes qui tombaient, on ne savait pas si on allait vivre. Il y a eu beaucoup de morts […]. »

Une femme, qui était âgée de sept ans au moment de la guerre, s’est rappelé :

« J’étais en train de marcher avec ma grand-mère, quand j’ai été touchée par une bombe à la jambe. Je ne savais pas comment aller aux hôpitaux, c’était dangereux, donc on s’occupait de la blessure chez nous, mais le pied pourrissait. Le cinquième jour, je suis partie à l’hôpital, mais c’était trop tard, ils m’ont coupé la jambe.

« Un monsieur qui n’avait pas pu retourner dans sa maison jusqu’à la fin de la guerre est rentré chez lui à la fin des six jours et il a trouvé sa femme et ses trois enfants morts, leurs cadavres en décomposition. La maison avait été touchée par des bombes. Il est devenu fou et il est mort peu de temps après. »

La population réclame la vérité, la justice et des réparations

Malgré l’absence de poursuites judiciaires en RDC et au niveau international, la population continue ardemment de réclamer la justice et des réparations, même des décennies plus tard.

Un homme, qui a aussi survécu aux guerres, a déclaré : « Mon vœu le plus cher, c’était l’installation des tribunaux. C’est le souhait des Congolais. Maintenant nous avons un sentiment de frustration dans la population. Pourquoi il y a eu des blocages ? On peine à savoir pourquoi on n’a pas jugé les crimes qui ont déjà été documentés. Les crimes commis au Congo, ça n’émeut personne ? »

Au moins 40 personnes interrogées ont dénoncé auprès d’Amnistie internationale l’absence de volonté politique en faveur de procédures pénales et de la justice. Compte tenu du manque d’indépendance du pouvoir judiciaire, les fonctionnaires de justice ne pouvaient pas ouvrir d’enquête sans l’appui des responsables politiques, dont certains sont d’anciens belligérants.

L’absence totale de poursuites a détruit la confiance à l’égard du système judiciaire et du gouvernement du pays.

S’agissant des programmes de réparation, le Fonds spécial de répartition de l’indemnisation aux victimes des activités illicites de l’Ouganda en République démocratique du Congo (FRIVAO), chargé de gérer les millions de dollars des États-Unis que la CIJ avait condamné l’Ouganda à payer à titre de réparations, a été critiqué pour son manque de transparence et le fait qu’aucune consultation adéquate n’a été menée auprès des victimes des guerres de Kisangani.

Un des militants s’est exprimé ainsi : « Les gens n’ont pas de décence, il y a eu du sang qui a coulé… et ils détournent des fonds qui étaient destinés à des travaux d’intérêt général et aux victimes ! Nous ne nous sommes pas battus pour ça. » 

Tigere Chagutah a déclaré : « Amnistie internationale tient à rappeler à la RDC son obligation d’enquêter et, s’il existe suffisamment de preuves recevables, de poursuivre, dans le cadre de procès équitables, les personnes soupçonnées de porter une responsabilité pénale dans les crimes commis sur le territoire de la RDC depuis plus de trente ans, y compris la guerre de Kisangani.

« Il faut que le gouvernement accorde aussi des réparations suffisantes, efficaces et rapides aux victimes, à la suite de véritables consultations avec les victimes et la société civile. »