• 10 Juil 2025
  • Nigeria
  • Communiqué de presse

Nigeria. La violence et les déplacements à grande échelle font planer le spectre d’un désastre humanitaire dans l’État de Benue

  • Au moins 510 182 personnes ont été déplacées dans l’État de Benue
  • Les conditions de vie sont extrêmement difficiles dans les camps de personnes déplacées
  • Les enfants et les femmes enceintes comptent parmi les personnes les plus vulnérables

Les autorités nigérianes doivent prendre d’urgence les mesures nécessaires pour éviter une catastrophe humanitaire dans l’État de Benue (dans le centre du Nigeria), où des attaques menées par des hommes armés ont entraîné le déplacement d’au moins 500 000 personnes, dont beaucoup croupissent dans des camps sordides où elles manquent d’eau, d’installations sanitaires adéquates, de nourriture et de soins de santé, a déclaré Amnistie internationale le 10 juillet.

Lors de la dernière attaque en date, le 14 juin, des hommes armés ont fait irruption dans la ville de Yelewata, tuant plus de 100 personnes et forçant au moins 3 941 autres personnes à s’enfuir de chez elles. L’odeur des corps en décomposition flottait dans l’air quand Amnistie internationale s’est rendue sur place, le lendemain des attaques. Les signes des récentes violences étaient évidents : des douilles de balles jonchaient le sol et des fosses communes avaient été récemment creusées pour enterrer les morts.

Des personnes ayant survécu à ces attaques ont été vues transportant des sacs de céréales, des fagots de bois de chauffage et d’autres biens du quotidien alors qu’elles allaient chercher la sécurité et un abri dans des camps de personnes déplacées. Selon les témoignages recueillis auprès de personnes déplacées dans les camps de Gwer West, Agatu, Ukum, Kwande, Logo, Guma et Makurdi, ainsi que dans un camp de fortune pour personnes déplacées au marché moderne de Makurdi, les communautés attaquées sont souvent livrées à elles-mêmes, les forces de sécurité n’arrivant que longtemps après le départ des hommes armés.

« Les autorités nigérianes ont manqué à leur devoir à l’égard des gens dans l’État de Benue, à maintes et maintes reprises. Les attaques incessantes menées par des hommes armés ont privé des milliers de personnes de leurs droits à la vie, à l’intégrité physique, à la liberté, ainsi qu’aux droits de circuler librement et à l’accès aux moyens de subsistance. Celles et ceux qui ont survécu à ces terribles attaques sont ensuite confrontés à une nouvelle épreuve, celle d’être déplacés dans des camps surpeuplés et insalubres, où les maladies sévissent et où les produits de première nécessité, tels que la nourriture et l’eau potable, sont rares, a déclaré Isa Sanusi, directeur d’Amnistie internationale Nigeria.

« Cette situation risquant d’entraîner une catastrophe humanitaire, les autorités doivent réagir de toute urgence en veillant à ce que les besoins essentiels de la population soient satisfaits avec la fourniture d’une aide dont elle a désespérément besoin.

Outre les entretiens réalisés avec des personnes déplacées, Amnistie internationale a rencontré des responsables des camps, du personnel médical et des organisations non gouvernementales dans les zones touchées. L’organisation a constaté que des localités à travers l’État de Benue, notamment dans les secteurs de Gwer West, Gwer-East, Agatu, Apa, Ukum, Kwande, Logo et Guma, continuent de subir des violences.

La violence se déchaîne typiquement la nuit, même si des attaques ont aussi lieu de jour, des hommes armés prenant systématiquement d’assaut les villages et utilisant des armes à feu pour commettre des meurtres à l’aveuglette ou de manière ciblée, à distance. Ces attaques s’accompagnent des terribles violences commises de façon rapprochée, avec des machettes et des couteaux utilisés pour infliger de graves blessures, notamment des amputations de la main.

Des conditions misérables dans les camps de personnes déplacées

Au 31 décembre 2024, on estimait à 500 182 le nombre de personnes ayant fui vers des camps de personnes déplacées dans l’État de Benue pour échapper à des attaques commises depuis des années par des hommes armés. Plus de 10 000 personnes supplémentaires ont été déplacées depuis le début de l’année 2025 à la suite d’attaques contre des localités des secteurs de Gwer West, Agatu, Ukum (Gbagir), Kwande (Anwase), Logo et Guma (Yelewata, Agan et Gbajimba), entre autres.

Les visites qu’Amnistie internationale a effectuées dans des camps de personnes déplacées ont permis de constater que les abris étaient totalement inadaptés, les personnes déplacées étant exposées à des conditions climatiques difficiles, à la surpopulation et à des risques accrus de maladies, ainsi qu’à des violences liées au genre, notamment des viols et des violences domestiques.

L’accès aux soins de santé représente également un défi majeur dans les camps de personnes déplacées, avec un manque de traitements pour les maladies et les affections les plus courantes telles que le paludisme, la typhoïde et les ulcères d’estomac. Selon le responsable d’un camp, des naissances ont lieu presque quotidiennement dans les camps de personnes déplacées, et de nombreuses femmes enceintes qui ont besoin de soins médicaux  contractent également des infections en raison du manque d’installations sanitaires adéquates.

Une personne déplacée a déclaré à Amnistie internationale : « Si nous ne recevons pas de médicaments, nous ne pouvons que rester assis, impuissants, à regarder la personne malade.

De nombreux enfants ne peuvent pas exercer leur droit à l’éducation dans les camps.

« Nos enfants ne vont plus à l’école et les autorités ne prennent aucune disposition pour l’éducation des enfants dans les camps de personnes déplacées. Le gouvernement devrait mettre fin à l’insécurité dans notre zone de gouvernement local et dans l’État de Benue. Avant cela, il devrait nous fournir de la nourriture et des abris convenables dans les camps de personnes déplacées », a déclaré une personne déplacée à Amnistie internationale. 

Un responsable a indiqué à Amnistie internationale qu’une école de fortune construite dans l’un des camps était fermée depuis plus de trois ans parce que les autorités du camp ne pouvaient pas continuer à rémunérer les enseignants.  

Des centaines de mineurs ont fui leur domicile à la suite d’attaques et vivent désormais sans protection parentale. Ces enfants ont été séparés de leur famille alors qu’ils fuyaient les attaques contre leurs villages et leurs communautés. Les autorités n’ont pas été en mesure de fournir à ces enfants vulnérables un endroit sûr où vivre et des services essentiels. Deux femmes déplacées ont déclaré à Amnistie internationale :

« Lorsque nous sommes arrivés, ils [mes enfants] sont partis. Je ne sais pas où ils sont allés. Je ne peux pas leur parler ; je n’ai pas de téléphone [...] J’ai huit enfants et comme nous n’avons pas assez de place ici, dans le camp de personnes déplacées, beaucoup d’entre eux m’ont quittée et je ne sais pas où ils sont. »

Amnistie internationale demande aux autorités nigérianes de prendre immédiatement des mesures pour apporter une aide humanitaire suffisante et accessible aux victimes de ces attaques. Les autorités doivent prendre les mesures nécessaires pour intégrer dans le système juridique du pays la Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique, et pour la mettre en œuvre de manière effective.

« L’incapacité persistante des autorités à demander des comptes aux responsables présumés alimente un cycle d’impunité qui crée un climat d’insécurité pour toutes les personnes. Les autorités doivent maintenant mettre fin à la culture de l’impunité qui se développe pour ces attaques.

« Nous demandons aux autorités de veiller à ce que toutes les personnes déplacées en raison des attaques perpétrées dans l’État de Benue reçoivent une aide adéquate, notamment une protection, un abri, de la nourriture, de l’eau potable, des installations sanitaires et des soins de santé. Les autorités doivent veiller à ce que toutes les personnes qui ont subi des pertes à cause de la crise soient également indemnisées de manière adéquate », a déclaré Isa Sanusi.

Complément d’information

Amnistie internationale Nigeria suit depuis 2016 l’escalade des attaques commises par des bandits et des affrontements entre éleveurs et agriculteurs dans l’État de Benue. En 2020, l’organisation a enquêté sur l’incapacité des autorités à protéger les communautés rurales contre les attaques, et en 2025, elle a enquêté sur l’augmentation du nombre de morts et la crise humanitaire qui se profile, dans un contexte d’attaques commises par des groupes armés.

Le Nigeria est partie à un certain nombre de traités qui garantissent les droits humains de toutes les personnes dans le pays, quelles que soient les circonstances. Il s’agit notamment du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (ONU) et de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, qui exigent des autorités nigérianes qu’elles garantissent l’égalité d’accès, entre autres, aux droits au logement, à la santé, à l’alimentation, à l’eau, à l’assainissement et à l’éducation./FIN