• 21 mai 2025
  • Mali
  • Communiqué de presse

Mali : il est urgent de mener une enquête sur les exécutions de civils à Diafarabé

Dakar, Paris, 21 mai 2025. La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et Amnistie internationale condamnent les exécutions extrajudiciaires d’une vingtaine de civils commises selon les témoins par les forces armées maliennes (FAMa) accompagnées de miliciens dozos à Diafarabé, commune de Ténenkou, région de Mopti.

Les deux organisations appellent les autorités judiciaires maliennes à mener une enquête indépendante, impartiale et diligente pour faire la lumière sur ces faits et traduire leurs auteurs devant la justice. La FIDH et Amnistie internationale dénoncent la répétition des crimes graves commis contre des populations civiles par les parties belligérantes dans le cadre du conflit au Mali. Les faits survenus à Diafarabé sont susceptibles de constituer des crimes de guerre.

Les deux organisations alertent la communauté internationale et les partenaires internationaux du Mali sur l'urgence de prendre des mesures concrètes pour soutenir la lutte contre l’impunité et les droits des victimes à la vérité, à la justice et aux réparations.                                                                                                   

Le lundi 12 mai, jour de la foire hebdomadaire de Diafarabé, selon des témoins interrogés par les deux organisations, une dizaine de militaires maliens accompagnés de miliciens dozos de Diafarabé et environnants ont, lors d’une patrouille, arrêté au moins 30 hommes au marché à bétail de la localité. Si certains d’entre eux ont été libérés immédiatement, entre 23 et 27 hommes ont été emmenés, entravés et les yeux bandés, à bord de pirogues sur la rive sud du fleuve, avant d’être égorgés et enterrés dans des fosses communes. 

Un survivant a raconté :                

« Le lundi, vers 11 heures, six militaires en civil sont arrivés à la foire des petits ruminants, suivis par des militaires en uniforme des FAMa. Ils ont encerclé le marché et se sont mis à arrêter des gens. Au départ, on était au moins 30 personnes à être arrêtées, mais après une rapide vérification basée sur l’appartenance ethnique, ceux qui n’étaient pas peuls ont été libérés. Ils nous ont attaché les bras et bandé les yeux. Ils nous ont conduits vers la rive opposée, près du cimetière de Danguere Mamba à une certaine distance du village. Arrivés sur place où ils avaient déjà creusé des fosses, les militaires et les dozos ont commencé à égorger les gens un à un. Comme je n’étais pas bien attaché, j’ai baissé le bandeau qui couvrait mes yeux, et je les ai vus en train d’égorger mon frère aîné qui était la troisième victime. Lorsqu'ils étaient en train d’égorger la quatrième personne, j’ai fui. Ils ont tenté de me tirer dessus à deux reprises mais j’ai réussi à atteindre le fleuve et à le traverser à la nage. Je précise que des dozos dont certains de Nouh Bozo ont participé à ces exécutions. »  

Immédiatement après le 12 mai, les populations de Diafarabé ont dénoncé les arrestations et ont organisé des manifestations spontanées pour exiger des informations sur le sort de leurs maris et proches.

L’une des manifestantes a expliqué à la FIDH et à Amnistie internationale :

 « Nous avons tenté d’aller vers le lieu du crime pour constater de nos yeux car nous avions entendu deux coups de fusil mais les militaires nous en ont empêchés. Ils nous ont dit que les personnes arrêtées étaient vivantes et ont promis de nous les ramener le lendemain. Ce qui n’a pas été fait. Le 14 mai, une délégation des autorités militaires est venue de Mopti pour écouter les populations. C’est là que nous avons eu la confirmation de la disparition pour toujours de nos proches car ils ont reconnu leurs exécutions et promis de punir les auteurs. »

Le 15 mai vers 17 heures, des conseillers communaux, des autorités coutumières et des parents de victimes ont, sur autorisation des militaires, traversé le fleuve pour aller voir les dépouilles.

L’un des membres de cette délégation a relaté à la FIDH et à Amnistie internationale :

 « Pour nous empêcher de filmer la scène du crime ainsi que les corps, les militaires avaient interdit le port de téléphones sur les lieux. Arrivés sur place, nous avons remarqué que les corps de nos proches égorgés étaient superposés et en état de putréfaction. Certains d’entre nous ont toutefois reconnu des proches parmi les victimes. Il y avait environ 22 corps. À notre retour, les femmes ont commencé le veuvage car tout le monde sait maintenant qu’ils ont été tués par les militaires. »

Pas de démenti de l’armée malienne

 À ce jour, l’armée malienne n’a ni reconnu ni démenti les faits. Dans un communiqué du 16 mai, l'État-major général des armées a confirmé la visite du commandant du théâtre d’opérations, les 14 et 15 mai, « organisée suite aux allégations de disparitions de civils le 12 mai ». « Les allégations sont prises très au sérieux par le commandement militaire […] les informations préliminaires recueillies auprès des populations locales vont nourrir l’enquête de gendarmerie qui permettra d’infirmer ou de confirmer les allégations », a déclaré l'État-major.

 « Au regard de la gravité des faits allégués et des témoignages des victimes et de leurs parents, nous interpellons les autorités maliennes pour qu’une enquête indépendante, impartiale et diligente soit menée. Il est essentiel qu’une telle enquête aille jusqu’à son terme, c’est-à-dire avec la tenue d’un procès devant les juridictions compétentes, pour mettre fin au cycle de l’impunité et rendre justice aux victimes », a déclaré Me Drissa Traoré, secrétaire général de la FIDH.  

« Nous déplorons que les annonces d’ouverture d’enquête ne soient généralement suivies ni d’information sur les résultats de l’enquête, ni de procès. Plusieurs dossiers judiciaires emblématiques sont en souffrance depuis plusieurs années. Cette fois, nous voulons croire que les promptes réactions des autorités militaires indiquent une volonté de mettre en œuvre les droits des populations maliennes à la vérité, à la justice et aux réparations », a déclaré Marceau Sivieude, directeur régional par intérim du bureau d’Amnistie internationale pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale

Contexte

Diafarabé (cercle de Ténenkou, région de Mopti) se situe dans une zone où la Katiba Macina, affiliée au Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM), est active et exerce une forte influence sur les villages. Le 27 mars 2025, le GSIM avait revendiqué une embuscade contre une patrouille conjointe de FAMa et de miliciens dozos entre Diafarabé et Nouh-Bozo. Elle avait occasionné la mort de 11 soldats dont un officier et de 30 miliciens dozos, selon des sources locales et humanitaires. Avant les rafles du 12 mai dernier, plusieurs ressortissants de Diafarabé avaient été arrêtés. Le sort de neuf autres individus arrêtés les 6 et 13 avril 2025 inquiète les populations de Diafarabé. Selon les recoupements de la FIDH et d’Amnistie internationale, au moins quatre d’entre eux auraient été aussi exécutés et cinq seraient en détention à Ségou. N’ayant plus « d’espoir de les revoir », « leurs épouses ont déjà commencé le veuvage », selon un habitant de Diafarabé. 

Dans le cadre de l'opération Dougoukoloko lancée depuis le 25 avril 2025, un contingent de soldats FAMa est arrivé à Diafarabé le 10 mai pour assurer la relève. Cette opération, placée sous la direction du Chef d’État-major général des armées, vise à « rétablir l’État du Mali dans ses fonctions régaliennes sur toute l’étendue du territoire national », selon le décret qui l’établit. Le théâtre centre de cette opération dans le ressort duquel l’incident de Diafarabé est survenu, et couvrant les régions de Ségou, San, Mopti, Bandiagara, Douentza, Tombouctou et Taoudéni, a été remanié ce 8 mai, en présence du Chef d'État-major général adjoint des armées.