• 6 juin 2025
  • Guatemala
  • Communiqué de presse

Guatemala. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies demande des garanties afin qu’aucune fille ne soit forcée à devenir mère

  • Cette décision est le résultat d’une stratégie juridique coordonnée au niveau international, initiée en 2019 par le mouvement Son Niñas, No Madres, et marque une étape importante dans la garantie des droits sexuels et reproductifs, non seulement au niveau local mais également dans le monde.
  • Le mouvement Son Niñas, No Madres [Ce sont des filles, pas des mères] exhorte de toute urgence l’État guatémaltèque à se conformer aux décisions des Nations unies, et la communauté internationale à exiger la transparence, des réformes et des mesures immédiates.
  • Le mouvement se félicite de cette décision, qui s’ajoute à celles rendues contre l’Équateur et le Nicaragua le 20 janvier par le Comité des droits de l’homme des Nations unies, afin d’empêcher que d’autres fillettes et adolescentes ne soient forcées à devenir mères.

Jeudi 5 juin, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a déclaré l’État du Guatemala coupable d’avoir bafoué les droits fondamentaux de Fátima, une jeune fille qui a été victime de violences sexuelles répétées de la part d’un enseignant et forcée à poursuivre une grossesse consécutive à un viol qu’il lui a infligé. Cette décision, rendue possible grâce à la procédure engagée en 2019 par le mouvement Son Niñas, No Madres, réaffirme un principe fondamental : aucune fille ne devrait être forcée à accepter une grossesse et une maternité non désirées.

« Cette décision constitue un précédent crucial dans la protection des droits fondamentaux des fillettes et jeunes filles victimes de violences sexuelles, et réaffirme qu’il incombe aux autorités guatémaltèques de garantir l’accès à la justice, des réparations intégrales et la non-répétition. Il est également important de préciser que cette décision est une étape essentielle vers la justice pour Fátima et la concrétisation de son désir profond qu’aucune fille ne soit privée de son enfance », a déclaré le mouvement Son Niñas, No Madres.

Le Comité des droits de l’homme a estimé qu’en forçant Fátima à poursuivre une grossesse qu’elle avait explicitement déclaré ne pas vouloir continuer, l’État avait bafoué son droit au respect de sa dignité, ses droits de disposer de son corps de manière autonome et de recevoir des informations, ainsi que ses droits à l’égalité et à la non-discrimination. À ce sujet, il a souligné que la maternité forcée interrompt et entrave les objectifs personnels, éducatifs et professionnels des jeunes filles et restreint gravement leur droit à une vie digne.

Le Comité a aussi reconnu que les violences sexuelles, la grossesse et la maternité forcées auxquelles Fátima a été confrontée lui ont causé des souffrances extrêmes, qui ont mené à plusieurs tentatives de suicide. Le refus de l’État de lui fournir les services de santé reproductive auxquels elle avait droit a par ailleurs constitué un traitement cruel et inhumain, ainsi qu’une forme de discrimination fondée sur des stéréotypes concernant le rôle reproductif des femmes.

Le Comité établit également des mesures de non-répétition afin d’éviter que d’autres cas comme celui de Fátima ne se produisent, une décision particulièrement pertinente compte tenu du contexte inquiétant des grossesses de mineures au Guatemala. Les chiffres sont frappants : entre 2018 et 2024, le Registre national des personnes a recensé plus de 14 000 naissances parmi les filles âgées de 10 à 14 ans (soit une moyenne de 2 000 naissances par an). La tendance se poursuit, comme en témoigne l’Observatoire de la santé sexuelle et reproductive du Guatemala (OSAR) qui a recensé 556 naissances chez des filles de la même tranche d’âge entre janvier et mars 2025.

Parmi les mesures réclamées par le Comité à l’État du Guatemala figurent les suivantes :

  • Garantir l’accès aux services de santé reproductive, en éliminant les obstacles médicaux, judiciaires et administratifs, et en renforçant les protocoles existants pour l’avortement thérapeutique.
  • Entreprendre des actions de prévention contre les violences sexuelles, notamment l’accès à une éducation sexuelle complète.
  • Créer une politique publique de réparation pour les victimes de violences sexuelles, de grossesses et de maternités forcées, comprenant l’éducation, la santé et le soutien psychosocial.
  • Créer un système de registre national unifié qui recense les cas de violences sexuelles et de grossesse forcée, afin d’élaborer des politiques publiques efficaces.
  • Prodiguer une formation obligatoire aux personnels des secteurs de la santé, de la justice et de l’enseignement sur des questions relatives au genre, à l’enfance et aux droits humains.

La décision rendue dans l’affaire Fátima fait suite à des décisions antérieures ayant dénoncé les agissements de l'Équateur et du Nicaragua (affaires Norma, Lucía et Susana, janvier 2025), ainsi que du Pérou (affaire Camila, 2023, devant le Comité des droits de l’enfant).

En savoir plus sur les décisions précédentes

« Avec la décision dans l’affaire Fátima, les Nations unies ont reconnu une chose que nous ne pouvons pas continuer à ignorer : aucune fille au monde ne doit jamais être forcée à devenir mère.Nos filles sont nées pour apprendre, pour jouer, pour rêver d’un avenir brillant - pas pour être mères ou subir les conséquences de la violence. La maternité forcée est une forme de torture. Les Nations unies l’ont établi. Il est du devoir des États d’agir en conséquence pour éradiquer la violence sexuelle, garantir les services de santé essentiels et assurer la protection des droits des filles, notamment le droit de disposer de leur propre corps et de décider de leurs projets de vie. Aujourd’hui, en hommage au courage de Fátima, nous rappelons au monde entier une vérité fondamentale : ce sont des filles, pas des mères », a déclaré Catalina Martinez Coral, vice-présidente pour l’Amérique latine et les Caraïbes au Centre des droits reproductifs.

« Chaque condamnation représente non seulement une reconnaissance pour les filles ayant survécu à cette violence et attendu pendant des années que les systèmes judiciaires de leurs pays leur rendent justice, mais aussi une lueur d’espoir pour des milliers de personnes toujours confrontées à une absence de protection après avoir survécu à un événement aussi douloureux qu’un viol. Cette décision confirme le pouvoir de la voix des victimes, l’importance de la lutte collective et l’urgence d’adopter une approche mondiale afin d’empêcher qu’une seule autre fille ne doive abandonner son enfance pour une maternité forcée », a déclaré Marianny Sanchez, directrice de la communication pour l’Amérique latine chez Planned Parenthood Global, l’une des organisations fondatrices du mouvement.

Cette décision constitue une étape importante dans la réalisation des droits humains, au niveau local, mais également mondial, car elle oblige le Guatemala et les plus de 170 États signataires du Pacte international relatif aux droits civils et politiques à modifier leur législation de sorte à garantir l’interruption volontaire de grossesse, et à veiller à ce qu’aucune fille ne soit confrontée à une grossesse ou à une maternité forcée.

Le mouvement Son Niñas, No Madres demande instamment à l’État guatémaltèque de respecter ses obligations internationales et de mettre en œuvre toutes les mesures qui s’imposent pour qu’aucune fille ne soit obligée de renoncer à ses rêves et à ses projets de vie pour assumer une maternité forcée.

L’histoire de Fátima

Fátima était une adolescente issue d’un milieu socio-économique défavorisé au Guatemala. Entre 2009 et 2010, alors qu’elle avait 13 ans, elle a été violée par un enseignant qui avait, paradoxalement, été fonctionnaire au sein des services de protection des mineur·e·s, et a ensuite été forcée de poursuivre la grossesse ayant résulté de ces abus. Le système a été complètement défaillant : le personnel de santé l’a blâmée pour sa grossesse et la justice n’a pas amené son agresseur à rendre des comptes.

Pendant sa grossesse, après avoir été harcelée par le personnel éducatif, Fátima a été contrainte de quitter son établissement scolaire. Lorsqu’elle a voulu retourner en cours, le personnel a conditionné sa réintégration à son mariage. Ensuite, malgré sa première place au classement, elle n’a pas été autorisée à porter le drapeau lors de la parade de la fête de l’école, car « qu’allait dire la société de la présence d’une fille enceinte au sein de l’établissement ». La jeune fille et sa famille ont dû demander une aide juridique pour qu’elle puisse retourner en classe.

Du fait des violences sexuelles qu’elle a subies et de sa grossesse non désirée, Fátima a eu des idées suicidaires. Dans le système de santé, elle a été maltraitée par le personnel médical qui la rendait responsable des violences sexuelles dont elle avait été victime.

À propos du mouvement Son Niñas, No Madres

Son Niñas, No Madres est un mouvement latino-américain de défense des droits des filles latino-américaines qui a mené une action stratégique novatrice dans les cas de Norma, Fátima, Susana et Lucia devant le Comité des droits de l’homme des Nations unies. Les colitigants sont le Centre des droits reproductifs, Planned Parenthood Global, Mujeres Transformando el Mundo (Guatemala), El Observatorio en Salud Sexual y Reproductiva (Guatemala), Surkuna (Équateur) et Promsex (Pérou), qui ont élaboré une stratégie internationale commune pour empêcher que ces cas ne se reproduisent et pour obtenir des réparations. Ce mouvement cherche à informer au sujet des graves conséquences des violences sexuelles et de la maternité forcée sur les filles.

Il a été fondé par Planned Parenthood Global, Amnistie internationale, le Grupo de Información para la Reproducción Elegida et le Consorcio Latinoamericano contra el Aborto Inseguro pour sensibiliser aux graves conséquences des violences sexuelles et de la maternité forcée sur les filles. Son niñas, no madres regroupe aujourd’hui plus d’une douzaine d’organisations de toute la région des Amériques. Son objectif est de faire en sorte que toutes les filles puissent grandir en bonne santé, fortes et en sécurité, et qu’elles puissent prendre des décisions libres et éclairées concernant leur santé et leur avenir.