• 24 avr 2025
  • Algérie
  • Communiqué de presse

Algérie. Face à de nouvelles expressions du mécontentement, les autorités accentuent la répression de l’opposition pacifique

En réaction à un nouveau mouvement de protestation en ligne et dans la période précédant le sixième anniversaire du Hirak en février 2025, les autorités algériennes ont intensifié leur répression implacable de toute opposition pacifique en procédant à des arrestations arbitraires et des poursuites judiciaires injustes aboutissant à de longues peines d’emprisonnement, a déclaré Amnistie internationale.  

Ces cinq derniers mois, les autorités algériennes ont arrêté et condamné au moins 23 militant·e·s et journalistes, en particulier pour leur soutien au mouvement de protestation en ligne « Manich Radi » (Je ne suis pas satisfait·e), lancé en décembre 2024 pour dénoncer les restrictions des droits fondamentaux et la situation socioéconomique difficile dans le pays. Toutes ces personnes ont été arrêtées uniquement pour avoir exercé pacifiquement leurs droits fondamentaux, et la majorité d’entre elles purgent actuellement des peines d’emprisonnement ou sont dans l’attente de leur procès. 

« La stratégie d’étouffement du militantisme en ligne poursuivie par les autorités algériennes est inquiétante et doit cesser. Rien ne saurait justifier d’arrêter et d’emprisonner des gens uniquement parce qu’ils ont exprimé leur mécontentement face à la situation politique et socioéconomique. Toutes les personnes détenues pour le seul exercice pacifique de leur droit à la liberté d’expression doivent être immédiatement libérées », a déclaré Heba Morayef, directrice régionale d’Amnistie internationale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. 

Amnistie internationale a enquêté sur neuf cas emblématiques de militant·e·s et de journalistes pris pour cible en raison de leurs publications en ligne. Sept de ces personnes ont été déclarées coupables et condamnées à des peines de 18 mois à cinq ans d’emprisonnement uniquement pour s’être exprimées et avoir milité en ligne. Cinq ont été jugées dans le cadre d’une procédure accélérée, qui ne leur a pas laissé le temps de se défendre correctement, en violation de leur droit à un procès équitable. Les autorités ont aussi détenu une militante et un journaliste pendant plusieurs jours et soumis ce dernier à une interdiction abusive et arbitraire de voyager et de publier.  

« Cette dernière vague d’arrestations arbitraires et de procès injustes montre que les autorités sont clairement déterminées à réprimer toute expression d’un mécontentement en ligne et à sanctionner les personnes qui ne font qu’exercer leurs droits fondamentaux et dénoncer l’injustice », a déclaré Heba Morayef. 

Les autorités doivent cesser de réprimer l’opposition pacifique et de punir l’exercice légitime du droit à la liberté d’expression. Elles doivent aussi mener dans les meilleurs délais des enquêtes approfondies, indépendantes, impartiales, transparentes et efficaces sur les accusations de violations des droits humains et traduire en justice, dans le cadre d’un procès équitable, toute personne soupçonnée d’en être responsable. Enfin, elles doivent garantir aux victimes l’accès à la justice et à des voies de recours effectives. 

Pour parvenir à ses conclusions, Amnistie internationale a examiné les décisions de justice en question, a consulté des documents juridiques, les contenus incriminés publiés par les victimes et des informations parues dans les médias, et s’est entretenue avec 11 personnes ayant donné leur consentement pour que l’organisation évoque leur cas dans ses publications.   

Le 11 mars 2025, dans le cadre d’une procédure accélérée, le tribunal de Béjaïa a confirmé la déclaration de culpabilité des militants Soheib Debbaghi et Mahdi Bazizi et les a condamnés à 18 mois d’emprisonnement assortis d’une amende de 100 000 dinars algériens (693 euros) chacun. Cette condamnation est liée au mouvement « Manich Radi », lancé par Soheib Debbaghi et Samy Bazizi (le frère de Mahdi Bazizi, qui vit au Canada) en décembre 2024 pour exprimer leur frustration face à la situation politique et socioéconomique en Algérie, notamment la répression des droits humains. Le hashtag #Manich_Radi a été relayé par des milliers de personnes et a fait réagir le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, qui a déclaré le 24 décembre 2024 : « L’Algérie ne peut être dévorée par un hashtag ».  

Soheib Debbaghi a été déclaré coupable de « publication d’informations susceptibles de nuire à l’intérêt national », de « diffusion d’informations susceptibles de nuire à la sécurité nationale ou à l’ordre public » et d’« incitation à rassemblement non armé » pour avoir publié sur les réseaux sociaux des contenus reprenant le hashtag #Manich_Radi. Mahdi Bazizi a été déclaré coupable d’avoir « caché une personne en vue d’entraver le cours de la justice » en lien avec la tentative de Soheib Debbaghi d’échapper à son arrestation.  

Le 20 janvier 2025, seulement quatre jours après son arrestation, le célèbre militant et poète Mohamed Tadjadit a été condamné à cinq ans d’emprisonnement assortis d’une amende de 500 000 dinars algériens (3 465 euros) à l’issue d’une procédure accélérée devant le tribunal de Rouïba, dans la wilaya (préfecture) d’Alger. Sa condamnation repose uniquement sur ses publications sur les réseaux sociaux et ses conversations en ligne, notamment des messages relayant le hashtag #Manich_Radi et des poèmes contenant des messages politiques. Le tribunal l’a déclaré coupable d’« atteinte à l’unité nationale », de « publication d’informations susceptibles de nuire à l’intérêt national », d’« incitation à rassemblement non armé » et d’« offense à corps constitué ».  

Le 4 mars, le militant Belaid Charfi a aussi été déclaré coupable de « publication d’informations susceptibles de nuire à l’intérêt national » par le tribunal de Tizi Ouzou, dans le nord-est de l’Algérie. Il a été condamné à quatre ans de prison et à une amende de 100 000 dinars algériens (693 euros), ainsi qu’à 10 000 dinars (69 euros) de dommages et intérêts. Cette condamnation est survenue à l’issue d’une procédure accélérée, fondée uniquement sur des contenus que le militant avait publiés sur les réseaux sociaux, dont le partage du hashtag #Manich_Radi et d’autres messages politiques dénonçant la détention de militant·e·s et la détérioration de la situation socioéconomique.  

Les autorités ont également arrêté la militante et syndicaliste Fadhila Hammas le 21 février 2025 à Azazga, une ville du nord-est du pays. La police l’a interrogée sur ses opinions et ses publications sur Facebook concernant des questions politiques et relatives aux droits humains. Quatre jours plus tard, le ministère public a ordonné sa libération dans l’attente de son procès prévu le 11 mai pour « diffusion de fausses informations susceptibles de nuire à la sécurité nationale ou à l’ordre public ». Si elle est déclarée coupable, elle risque jusqu’à trois ans d’emprisonnement.  

Le 16 février 2025, le tribunal de Ouargla, dans l’est de l’Algérie, a confirmé la déclaration de culpabilité de la militante Derama Kemari, plus connue sous le nom d’« Abla Kemari », et l’a condamnée à trois ans de prison, dont un avec sursis, et une amende de 300 000 dinars algériens (2 079 euros). Elle a été déclarée coupable d’avoir fait « offense au président » et « créé un compte électronique pour inciter à la haine et à la discrimination » en raison de ses publications sur Facebook dénonçant la répression des militant·e·s et les problèmes socioéconomiques dans les régions du Sahara algérien.  

Le 14 janvier 2025, le militant Massinissa Lakhal a lui aussi vu sa condamnation confirmée par le tribunal de Tizi Ouzou en lien avec ses activités en ligne. Le tribunal l’a condamné à trois ans d’emprisonnement et à des amendes d’un montant total de cinq millions de dinars algériens (34 645 euros), ainsi qu’à 200 000 dinars (1 386 euros) de dommages et intérêts. Il lui était reproché son activité sur Facebook, notamment le fait qu’il suive des comptes et partage des publications présumés favorables au Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), que les autorités ont désigné comme « terroriste » dans le cadre d’une procédure non conforme aux normes internationales relatives aux droits humains. Massinissa Lakhal a aussi été condamné pour ses liens avec d’autres militant·e·s du MAK, dont son père, Ammar Lakhal, ancien représentant de ce mouvement vivant désormais au Canada. 

Parmi les journalistes pris pour cible par les autorités figure Abdelwaheb Moualek, condamné le 25 février par le tribunal de Sidi Aïch, dans la wilaya de Béjaïa, à l’issue d’une procédure accélérée menée en l’absence d’avocat·e. Cet homme a été déclaré coupable de « publication d’informations susceptibles de nuire à l’intérêt national » et condamné à 18 mois d’emprisonnement assortis d’une amende de 100 000 dinars algériens (693 euros) pour avoir commenté la répression sur Facebook. Il a été laissé en liberté dans l’attente de l’examen de son appel. 

Le 2 janvier 2025, un juge d’instruction du tribunal d’Annaba, dans l’est de l’Algérie, a interrogé le journaliste Mustapha Bendjama à propos de ses publications sur Facebook et l’a placé sous contrôle judiciaire pour avoir publié des contenus « susceptibles de nuire à l’intérêt national » et de « fausses informations susceptibles de nuire à la sécurité nationale ou à l’ordre public ». Le juge a prononcé à son encontre une interdiction officielle de voyager, au titre de laquelle le journaliste n’a pas le droit de sortir du territoire national ni de la wilaya d’Annaba, et lui a interdit de publier des contenus susceptibles de « porter atteinte à l’intérêt national ». 

Complément d’information 

Depuis le début du Hirak (mouvement de protestation) en février 2019, les autorités algériennes ont instrumentalisé le système judiciaire pour museler la dissidence pacifique, arrêtant arbitrairement et poursuivant pénalement des centaines de militant·e·s, de défenseur·e·s des droits humains, de manifestant·e·s et de journalistes n’ayant fait qu’exercer leurs droits à la liberté de réunion, d’association et d’expression, notamment sur les réseaux sociaux, ce qui a entraîné une érosion constante des droits humains dans ce pays.