• 13 Sep 2021
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Niger | De plus en plus d’enfants sont tués ou recrutés par des groupes armés dans la zone sahélienne des trois frontières – nouveau rapport

De plus en plus d’enfants sont tués ou ciblés pour être recrutés par des groupes armés dans le contexte du conflit qui fait rage au Niger, aux frontières avec le Mali et le Burkina Faso, a déclaré Amnistie internationale dans un nouveau rapport publié le 13 septembre 2021.

Ce rapport, intitulé « Je n’ai plus rien, à part moi-même. » Les répercussions croissantes du conflit sur les enfants dans la région de Tillabéri, illustre les conséquences dévastatrices qu’a sur les enfants le conflit au Niger, auquel participent l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) et le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), affilié à Al Qaïda.

Ces deux groupes armés ont commis des crimes de guerre et d’autres atteintes aux droits humains dans le cadre du conflit, notamment des homicides de civils et des attaques contre des écoles. De nombreux enfants ayant assisté à des attaques meurtrières dans leur village sont traumatisés. Dans certaines zones, les femmes et les filles n’ont plus le droit de mener des activités en dehors du foyer et risquent d’être enlevées ou mariées de force à des combattants.

« Dans la région de Tillabéri, au Niger, une génération entière grandit entourée par la mort et la destruction. Des groupes armés ont attaqué à maintes reprises des écoles et des réserves de nourriture et ciblent des enfants vulnérables lors de leur recrutement, a déclaré Matt Wells, directeur adjoint du programme Réaction aux crises – Questions thématiques à Amnistie internationale.

« Il faut que l’État nigérien et ses partenaires internationaux prennent de toute urgence des mesures pour suivre et prévenir les atteintes et pour protéger les droits fondamentaux de toutes les personnes touchées par ce conflit meurtrier, en particulier les enfants. »

Les autorités nigériennes ne protègent pas les civils. Des témoins ont expliqué que, malgré leurs appels passés en urgence, il était fréquent que les Forces de défense et de sécurité (FDS) du Niger arrivent longtemps après la fin des homicides et des pillages.

Amnistie internationale estime que la situation au Niger est un conflit armé non international, compte tenu de l’intensité des violences et du degré d’organisation de l’EIGS et du GSIM.

Des homicides ciblés de civils

Le conflit dans la région de Tillabéri s’est fortement aggravé depuis le début de l’année 2021. Selon la Base de données sur le lieu et le déroulement des conflits armés (ACLED), les violences à l’encontre de civils au Niger ont fait 544 morts dans le contexte du conflit entre le 1er janvier et le 29 juillet 2021, contre 397 en 2020.

En 2021, des groupes armés ont tué plus d’une soixantaine d’enfants dans la partie nigérienne de la zone des trois frontières. L’EIGS, présent principalement à la frontière avec le Mali, semble être responsable de la plupart des massacres à grande échelle.

Une délégation d’Amnistie internationale s’est entretenue avec 16 garçons qui avaient réchappé de peu à des attaques de l’EIGS dans leurs villages respectifs. Ceux-ci ont déclaré que des individus encagoulés circulant à moto avaient ouvert le feu, en particulier sur les hommes et les garçons adolescents. Un garçon d’environ 13 ou 14 ans a expliqué : « Nous tous avons l’habitude d’entendre les coups de feu et de voir des [morts] entassés. »

Un autre garçon, témoin de l’homicide de son ami de 12 ans en mars 2021, a raconté : « Je pense à Wahab et comment il a été tué. Il m’arrive de faire des cauchemars où je suis chassé par des gens à moto, ou de revoir Wahab plaider avec les [agresseurs]. »

Des combattants ont tiré dans des maisons, tuant ou blessant des civils qui tentaient de se cacher. Une femme et sa fille en bas âge ont été blessées par balle alors qu’elles se cachaient chez elles pendant une attaque présumée de l’EIGS.

Les FDS se sont retirées de certaines zones frontalières après avoir subi des pertes face à l’EIGS et au GSIM à la fin de 2019, d’où l’absence des autorités sur place. Des témoins ont déclaré que, bien souvent, les FDS ne réagissaient pas alors que les homicides et les pillages duraient plusieurs heures.

Un homme de 50 ans, dont les propos faisaient écho à ceux de beaucoup d’autres personnes, a expliqué : « On nous a abandonnés. »

Recrutement d’enfants

Le recrutement d’enfants par le GSIM s’est considérablement accru cette année dans le département de Torodi, près de la frontière avec le Burkina Faso.

Selon des témoins, ce groupe armé cible les jeunes hommes et les garçons de 15 à 17 ans, voire plus jeunes. Ses membres proposent des avantages comme de la nourriture, de l’argent ou des vêtements pour attirer des recrues.

Des recrues ont, semble-t-il, suivi un entraînement au maniement des armes d’une durée d’une semaine à trois mois. On sait également que le GSIM utilise des enfants comme espions, éclaireurs et guetteurs, entre autres rôles définis dans le droit international comme une participation aux hostilités.

Attaques contre l’éducation et la santé

L’EIGS et le GSIM, opposés à ce qu’ils considèrent comme une éducation « occidentale », ont incendié des écoles et menacé des enseignant·e·s, ce qui a entraîné la fermeture de nombreux établissements. En juin 2021, au moins 377 écoles de la région de Tillabéri avaient fermé, privant plus de 31 000 enfants d’accès à l’éducation.

Amnistie internationale a recueilli des informations sur des attaques lancées par des groupes armés contre des écoles, lesquelles ont été incendiées, dans au moins quatre départements de la région de Tillabéri. Dans les zones rurales, la plupart des locaux scolaires sont en chaume et peuvent donc s’enflammer facilement.

En outre, des enseignant·e·s ont été menacés en raison de leur profession. Un garçon de 15 ans de Mogodyougou a déclaré : « Les enseignant·e·s [...] sont partis. Ils auraient été tués [sinon]. »

Du fait des fermetures d’écoles, de nombreux enfants vivant dans des zones touchées par le conflit sont privés d’accès à l’éducation de façon prolongée. Un adolescent de 14 ans a expliqué : « Nous n’étions pas contents que l’école ferme [...] Après la fermeture, nous restions à la maison. Nous n’avions rien à faire. »

Le droit international humanitaire interdit d’attaquer des écoles, à moins que celles-ci ne soient utilisées à des fins militaires. Par conséquent, les attaques contre des écoles ou d’autres édifices dédiés à l’enseignement sur lesquelles Amnistie internationale a recueilli des informations constituent des crimes de guerre.

Le conflit limite fortement l’accès des enfants aux soins de santé, étant donné que des groupes armés ont pillé des centres de santé. En outre, les autorités nigériennes restreignent les déplacements des civils et entravent parfois l’accès des organisations humanitaires. Les taux d’immunisation ont chuté et des maladies comme la rougeole progressent.

Attaques contre la sécurité alimentaire

Lors des attaques, l’EIGS a incendié des stocks de grains, pillé des magasins et volé du bétail, laissant des familles sans ressources et sans nourriture. Les enfants risquent davantage de souffrir de malnutrition et de maladies connexes.

Une mère de sept enfants a expliqué à Amnistie internationale que des combattants de l’EIGS avaient incendié les greniers de sa famille lors d’une attaque contre le village de Zibane. Elle a déclaré : « Tout a été brûlé [...] Je n’ai plus rien, à part moi-même. »

L’analyse d’images satellites a permis à Amnistie internationale de corroborer les déclarations concernant l’incendie ciblé de stocks de grains. Ces attaques ont entraîné le déplacement forcé de dizaines de milliers de personnes, vidant souvent des villages entiers en raison du manque de nourriture.

Par ailleurs, l’EIGS et le GSIM prélèvent régulièrement des « impôts » auprès des populations, souvent en ayant recours à la violence. Selon des organisations humanitaires, 2,3 millions de personnes pourraient se retrouver en proie à l’insécurité alimentaire dans la région du fait des attaques, mais aussi de la sécheresse et des inondations.

Conséquences psychosociales pour les enfants

Les attaques incessantes ont de profondes répercussions sur la santé mentale et le bien-être des enfants. Très peu d’enfants interrogés bénéficiaient d’une aide psychosociale.

Amnistie internationale a recueilli des informations sur les symptômes de traumatisme et de souffrance qui se manifestaient chez les enfants, notamment les cauchemars, les troubles du sommeil, la peur, l’anxiété et la perte d’appétit. De nombreuses personnes ont indiqué que le bruit des motos ravivait le souvenir des attaques.

Un adolescent de 15 ans, déplacé de son village, a expliqué à Amnistie internationale : « Ce que je veux, c’est que la paix revienne, vraiment. Et il faut que [le gouvernement] se soucie de notre vie, même ici [dans le camp pour personnes déplacées] pour ce qui est de la nourriture et de l’eau. Et l’école. Nous avons besoin de l’école. »

« Il faut que les autorités nigériennes prennent rapidement des mesures pour que les enfants touchés par le conflit dans la région de Tillabéri aient accès à l’école et à des soins psychosociaux, a déclaré Matt Wells.

« Le Niger est au bord du gouffre. Les autorités nigériennes et les partenaires internationaux doivent prendre des mesures de toute urgence pour doter les enfants d’outils qui leur permettront de se construire un avenir. »

Complément d’information

Le conflit qui a éclaté au Mali en 2012 s’est propagé ensuite à deux pays voisins : le Burkina Faso et le Niger. Des groupes armés se disputent le contrôle des zones frontalières et affrontent fréquemment l’armée nigérienne ainsi que les forces d’autres pays, notamment le Tchad, le Mali, le Burkina Faso et la France.

Selon les estimations, 13,2 millions de personnes au total auront besoin d’une aide humanitaire en 2021 et le nombre de personnes déplacées s’élève à 1,9 million.

Méthodologie

Une délégation d’Amnistie internationale s’est entretenue avec 119 personnes, dont 22 enfants, trois jeunes adultes de 18 à 20 ans, ainsi que 36 parents ou autres personnes touchées par le conflit. Parmi les autres personnes interrogées figuraient des membres du personnel d’organisations non gouvernementales (ONG) et d’organisations humanitaires, des représentant·e·s des Nations unies et des fonctionnaires nationau