• 24 nov 2021
  • International
  • Communiqué de presse

Résultats de la COP26 : 12 mois pour agir contre le changement climatique afin de protéger les droits humains

Amnistie internationale déplore vivement que la COP26 n’ait abouti qu’à des progrès extrêmement limités en matière de protection des droits humains dans le contexte de la crise climatique. Parmi les améliorations apportées aux décisions des précédentes conférences sur le climat (COP) et aux positions des États avant la conférence de Glasgow, on peut citer le fait que l’accord final mentionne la nécessité de supprimer progressivement certaines formes de subventions aux énergies fossiles et de sortir progressivement du charbon, demande aux États de revoir à la hausse, d’ici la fin 2022, leurs ambitions à l’horizon 2030, et contienne un engagement à accroître la proportion des financements alloués aux États pour les aider à s’adapter aux effets du changement climatique.

Par rapport à ce que les États peuvent et doivent faire pour protéger les droits fondamentaux conformément à leurs obligations en vertu du droit international relatif aux droits humains, Amnistie internationale considère que la COP26 a abouti à un échec catastrophique. Alors que les engagements pris avant et pendant la COP26 nous mènent tout droit vers une élévation des températures mondiales de 2,4 °C[1], les États n’ont pas su s’engager à limiter cette augmentation à 1,5 °C ni à prendre les mesures nécessaires pour y parvenir. Ils ne se sont pas non plus engagés à apporter des financements suffisants et appropriés, ni à financer d’aucune manière l’indemnisation des populations subissant des pertes et préjudices liés au changement climatique.

Il y a dans le document final de la COP26 de nombreuses failles qui tendent davantage à satisfaire les intérêts des compagnies d’énergies fossiles qu’à protéger les droits humains. L’accord conclu ne demande pas un abandon progressif du gaz et du pétrole, continue d’autoriser l’utilisation et la production de charbon et permet l’allocation de subventions « efficaces » aux énergies fossiles. Il met l’accent sur l’objectif « zéro émission nette » et sur les dispositions permettant l’utilisation de crédits carbones superflus, ce qui permet aux États de retarder les véritables réductions d’émissions au profit de réductions d’émissions illusoires fondées sur des technologies qui n’ont pas fait leurs preuves ou sur les échanges de crédits carbone. Il ne contient pas suffisamment de mesures de protection de l’environnement et des droits humains, ce qui accroît les risques encourus par les peuples autochtones et les populations locales touchés par ces projets, notamment leur risque d’être expulsés de leurs terres pour laisser la place à des programmes de compensation carbone.

Le délai de 12 mois accordé aux États pour améliorer leurs ambitions (leurs Contributions déterminées au niveau national, ou CDN), et le fait que les pertes et préjudices figureront à l’ordre du jour de la future COP27 offrent aux États une occasion cruciale de revoir leurs politiques climatiques en veillant à ce qu’elles respectent leurs obligations en matière de droits humains. Pour y parvenir, ils ne devront pas se contenter d’affiner leurs plans ni de prévoir encore de nouveaux processus à long terme. Les États doivent sortir de la léthargie qui caractérise leurs plans climat et reconnaître que le maintien de l’économie des énergies fossiles et des autres sources d’émissions de gaz à effet de serre est une décision qui, chaque jour, viole les droits humains des personnes qui sont et seront touchées par la crise climatique. Ils doivent accélérer le mouvement et s’attaquer sérieusement à ce défi.

Dans les 12 mois qui viennent, les États doivent mettre en place les grands changements juridiques et politiques nécessaires et mobiliser d’importantes ressources au niveau national et, pour les pays riches, à l’échelle internationale. Ils doivent adopter immédiatement des plans de sortie progressive des combustibles fossiles et mettre en œuvre une transformation rapide et juste de l’utilisation de l’énergie qui protège et fasse progresser les droits des travailleurs et travailleuses, des populations qui dépendent d’économies fondées sur les combustibles fossiles et des autres personnes dont les droits humains sont menacés. Les pays riches doivent augmenter de manière significative leurs contributions financières en matière de climat, notamment en s’engageant à financer l’indemnisation des pertes et préjudices. Les États doivent légitimement s’attendre à une surveillance et une pression intenses sur ces points de la part de la société civile, des peuples autochtones et du grand public, à l’intérieur de leurs frontières comme au niveau mondial.

Cette déclaration publique contient une brève analyse sous l’angle des droits humains des sujets qu’Amnistie internationale a suivis avant et pendant la COP26 : les objectifs de réduction des émissions, le financement de l’action climatique, les pertes et préjudices, les mécanismes d’échange de droits d’émissions de carbone et le programme de travail relatif à l’Action pour l’autonomisation climatique (AAC)[2]. Elle ne prétend pas proposer une évaluation exhaustive des résultats de la COP26.

Pas de véritable engagement à maintenir la hausse des températures mondiales en dessous de 1,5 °C

Le document final de la COP26 :

  • Reconnaît que les conséquences du changement climatique seront bien moindres avec une hausse des températures de 1,5 °C qu’avec une hausse de 2 °C, et qu’il est nécessaire de réduire les émissions de 45 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2010 pour atteindre l’objectif de 1,5 °C maximum. Toutefois, les États ne s’engagent pas à mettre en œuvre cette réduction ni à maintenir la hausse en dessous de 1,5° C, se contenant de promettre d’essayer[3].
  • Demande aux États de revoir et de renforcer, d’ici 2022, leurs objectifs à l’horizon 2030 dans le cadre de leurs CDN[4]. Cependant, il ne leur impose pas de le faire dans le but de maintenir la hausse des températures en dessous de 1,5 °C, mais seulement en vue de répondre à l’objectif de 2 °C fixé par l’Accord de Paris, tout en les invitant à « poursuivre leurs efforts » pour limiter la hausse des températures à 1,5 °C.
  • Invite les États à mettre à jour régulièrement leurs stratégies à long terme en fonction des meilleures données scientifiques disponibles[5], mais pas en vue d’atteindre l’objectif de 1,5 °C. L’accord continue de faire référence à des stratégies à long terme visant à atteindre « zéro émission nette d’ici le milieu du siècle environ[6] », ce qui permet aux États de reporter l’abandon progressif des énergies fossiles au profit de méthodes de capture ou d’élimination du carbone n’ayant pas fait leurs preuves, impossibles à mettre en œuvre ou préjudiciables[7]. Il ne reconnaît pas non plus que, pour que la neutralité carbone soit atteinte collectivement d’ici au milieu du siècle, il faut que les pays riches atteignent cet objectif avant les autres, afin de ne pas faire peser une charge excessive sur les pays à plus faibles revenus.
  • Appelle les États à accélérer leurs efforts pour « réduire progressivement la production d’électricité au charbon sans dispositif de réduction des émissions » et « éliminer progressivement les subventions inefficaces aux combustibles fossiles, tout en apportant un soutien ciblé aux plus pauvres et aux plus vulnérables en fonction des circonstances nationales et en reconnaissant le besoin d’aide pour parvenir à une transition qui soit juste[8] ». Certes, c’est la première fois qu’est évoquée la nécessité de réduire progressivement les subventions aux énergies fossiles et l’utilisation du charbon dans une décision de COP, mais la formulation de cet engagement est absolument insuffisante pour mener l’humanité vers une limitation de la hausse des températures à 1,5 °C. Le document final n’évoque pas la nécessité de sortir progressivement du gaz et du pétrole, ni celle d’arrêter progressivement la production de charbon. Il se contente de parler d’une réduction progressive, plutôt que d’un abandon progressif, de l’électricité au charbon, et ne fixe pas d’échéance pour l’arrêt total de l’utilisation du charbon. Par ailleurs, en citant la production d’électricité au charbon « sans dispositif de réduction des émissions », il donne aux États une excuse pour continuer de recourir à cette énergie sur la foi de technologies de capture et de stockage du carbone qui n’ont pas fait leurs preuves. L’accord permet également aux États de maintenir leurs subventions aux énergies fossiles dès lors qu’elles sont jugées « efficaces ». Ces subventions ne devraient être accordées que de façon transitoire, lorsque c’est strictement nécessaire pour garantir l’accès à l’énergie le temps que des énergies renouvelables soient mises en place. Les subventions aux combustibles fossiles ne peuvent être considérées comme efficaces qu’au même titre que les armes nucléaires sont un moyen « efficace » de tuer des millions de personnes. Le document final évoque néanmoins les financements internationaux colossaux qui sont indispensables pour permettre aux pays à plus faibles revenus de mettre en place les infrastructures nécessaires en matière d’énergies renouvelables pour remplacer le charbon et aider les populations qui dépendent du charbon à trouver d’autres moyens de subsistance.
  • Fixe des règles plus strictes que ce que l’on craignait en ce qui concerne la mise en œuvre des marchés internationaux du carbone, mais qui contiennent néanmoins des failles susceptibles d’affaiblir l’ambition de maintenir la hausse des températures en dessous de 1,5 °C. Par exemple, les règles adoptées pour l’application de l’article 6 de l’Accord de Paris permettent à un État d’intégrer les crédits carbones « acquis » par le passé dans le cadre du Protocole de Kyoto, aujourd’hui caduque, dans ses réductions d’émissions au titre de sa CDN[9]. L’accord contient également des lacunes qui risquent de donner lieu à un déferlement de crédits non autorisés, notamment de nouveaux crédits fondés sur de fausses solutions climatiques[10]. Cela permet aux États de fixer des objectifs de réduction des émissions moins ambitieux dans leurs CDN, contrairement à leur obligation juridique de prendre toutes les mesures possibles pour réduire leurs émissions. C’est une nouvelle violation des droits humains de celles et ceux qui paient déjà très cher notre dépendance persistante aux énergies fossiles.

De toute urgence, et bien avant la COP27, les États doivent définir des objectifs plus ambitieux de réduction des émissions permettant de limiter la hausse des températures en dessous de 1,5 °C, fondés sur le principe de « zéro émission » plutôt que de « zéro émission nette ». Ces objectifs doivent prévoir l’arrêt progressif mais rapide des subventions aux énergies fossiles et de l’utilisation de ces énergies. Au lieu de s’appuyer sur le marché du carbone et d’autres mécanismes pour retarder les véritables réductions d’émissions, les États doivent protéger les droits humains en s’engageant à réduire véritablement et concrètement leurs émissions d’ici 2030 afin de limiter la hausse des températures en dessous de 1,5 °C. Pour parvenir à une vraie réduction des émissions dans un délai suffisamment court, l’une des mesures essentielles est de sortir rapidement de la production et de l’utilisation de tous les combustibles fossiles – charbon, pétrole et gaz – d’une manière qui permette une transition juste et garantisse les droits humains de tous et toutes, en impliquant pleinement les groupes les plus concernés. Les pays riches et industrialisés doivent aussi décarboner leurs économies plus vite que les autres, en adoptant des objectifs de réduction de leurs émissions à hauteur de leur responsabilité dans la crise climatique et du niveau plus élevé de leurs revenus.

Plus précisément :

  • Les pays riches et industrialisés doivent adopter les objectifs de réduction des émissions les plus ambitieux afin de diviser par deux leurs émissions de gaz à effet de serre bien avant 2030 et de parvenir à zéro émission de carbone d’ici 2030, ou dès que possible après cette date.
  • Les pays en développement ayant le plus de capacités[11] doivent fixer des objectifs de réduction des émissions qui leur permettent d’abaisser leurs émissions de gaz à effet de serre d’au moins 45 % par rapport aux niveaux de 2010 d’ici 2030 ou dès que possible après cette échéance et de parvenir à la neutralité carbone d’ici 2050, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) ayant déclaré que de tels objectifs étaient nécessaires au niveau mondial pour maintenir le réchauffement de la planète en dessous de 1,5 °C.
  • Les autres pays en développement doivent chercher à réduire leurs émissions de manière à ne pas dépasser un réchauffement de 1,5 °C dès que possible et en fonction de leurs capacités respectives, ainsi que de l’aide financière internationale disponible attribuée à l’action climatique.
Des engagements financiers insuffisants pour l’action climatique

Le document final de la COP26 :

  • « Constate avec un profond regret » que l’objectif des pays riches de mobiliser conjointement 100 milliards de dollars des États-Unis par an d’ici 2020 n’a pas été atteint[12] et « exhorte » les pays développés à atteindre cet objectif de toute urgence et avant 2025[13]. Même si, selon les prévisions, cet objectif pourrait être atteint d’ici 2023[14], la COP26 n’a pas demandé aux pays riches de rattraper le retard en versant les sommes promises, soit un montant cumulé de 600 milliards de dollars entre 2020 et 2025. Par ailleurs, l’accord ne prévoit pas d’engagement clair des pays riches à fournir aux pays à faibles revenus un financement climatique principalement sous forme de subventions, et non de prêts. En effet, les prêts ont pour effet un alourdissement insurmontable de la dette des pays pauvres – qui sont les moins bien armés pour affronter la crise climatique.
  • N’est pas parvenu à un accord sur un nouvel objectif collectif, chiffré et plus élevé de financement pour l’après 2025, les États s’étant contentés de décider de poursuivre la discussion entre 2022 et 2024 dans le cadre d’un programme de travail dédié[15]. Cette approche n’est pas à la hauteur de l’urgence de la tâche ni de la nécessité de mobiliser massivement des fonds pour lancer la transformation des infrastructures indispensable pour réduire de moitié les émissions dans le monde d’ici 2030, ce qui nécessite des milliers de milliards de dollars de financement international[16].
  • Appelle les pays développés à au moins doubler, d’ici 2025, le financement collectif de l’adaptation des pays en développement au changement climatique par rapport au niveau de 2019, afin de parvenir à un équilibre entre l’atténuation et l’adaptation dans le cadre de l’augmentation des financements[17]. S’il s’agit certainement d’une mesure importante pour combler le manque de financements destinés à aider les populations à s’adapter aux conséquences du changement climatique et pour parvenir à un équilibre entre le financement des mesures d’atténuation et celui des mesures d’adaptation, cet engagement reste insuffisant et trop tardif, étant donné que, une fois doublé en 2025 seulement, le montant resterait inférieur aux besoins estimés des pays en développement[18], et ne s’accompagne pas d’un engagement à augmenter le montant global du financement de l’action climatique.
  • Constate les besoins croissants d’aide financière des pays en développement, en particulier en raison de l’intensification des effets du changement climatique et de la hausse de leur endettement due à la pandémie de COVID-19[19]. Il encourage aussi les institutions multilatérales concernées à réfléchir à la manière de tenir compte des vulnérabilités liées au climat dans l’attribution et la mobilisation de ressources financières assorties de conditions de faveur et d’autres formes d’aide, telles que les droits de tirage spéciaux[20].
  • Appelle les pays riches, les banques de développement multilatérales et les autres institutions financières à accélérer la mise en conformité de leurs activités financières avec les objectifs de l’Accord de Paris[21]. C’est une demande importante, mais qui n’est assortie d’aucun niveau de référence ni délai.

Le versement de financements suffisants aux pays à plus faibles revenus n’est pas seulement une question humanitaire, c’est une obligation relative aux droits humains. Il incombe en effet aux États de mettre en œuvre une aide et une coopération internationales pour permettre aux autres États de respecter leurs propres engagements en matière de droits. Il est aussi indispensable de veiller à que la hausse des températures mondiales moyennes soit maintenue en dessous de 1,5 °C, or les pays à plus faibles revenus ont besoin de suffisamment de moyens pour mener une transition juste et respectueuse des droits humains vers des économies zéro carbone et des sociétés résilientes dans le délai le plus court possible. Les pays riches doivent donc chacun augmenter de toute urgence leurs contributions, afin d’apporter le montant promis de 600 milliards de dollars des États-Unis entre 2020 et 2025. Ils doivent en outre veiller à ce que les fonds destinés à l’action climatique soient octroyés aux pays à bas revenus sous la forme de subventions, et non de prêts, et mettre rapidement en œuvre leur engagement de parvenir à un meilleur équilibre entre le financement des mesures d’atténuation et celui des mesures d’adaptation. Enfin, ils doivent se préparer, individuellement et collectivement, à une augmentation importante des sommes allouées au financement international de l’action pour le climat et en faire part aux pays à plus faibles revenus afin de faciliter une planification efficace des projets climatiques nationaux.

Pas de financements spécifiques pour l’indemnisation des pertes et préjudices

Le document final de la COP26 :

  • N’est pas parvenu à convenir d’un dispositif financier ou d’un autre mécanisme visant à fournir de nouveaux financements complémentaires, distincts de ceux disponibles au titre de l’atténuation et de l’adaptation et autres que les dispositifs d’assurance, afin d’aider les populations des pays à plus faibles revenus ayant subi des pertes et des préjudices liés à la crise climatique. Malgré les efforts coordonnés des pays en développement pour obtenir enfin des engagements financiers spécifiques aux pertes et préjudices, les pays riches se sont une nouvelle fois opposés à toute décision concrète à cet égard. En conséquence, l’accord de la COP26 se contente de mettre en place un dialogue (dit « dialogue de Glasgow ») visant à « discuter des modalités » du financement des activités liées aux pertes et préjudices[22].
  • A reporté à la COP27 la pleine mise en œuvre du Réseau de Santiago pour la prise en compte des pertes et préjudices, organisme de conseil technique créé à la COP25 pour apporter des conseils scientifiques et techniques aux pays qui subissent des pertes et préjudices liés au changement climatique. La COP26 a toutefois permis quelques avancées. Un accord a ainsi été trouvé sur les principales fonctions de ce réseau, en particulier en ce qui concerne le recensement des besoins en matière d’assistance technique dans les pays en développement touchés par des pertes et préjudices, ainsi que la mise en relation de ceux qui ont besoin d’une aide technique avec les organisations, organismes et experts les plus à même de la leur fournir[23]. La COP26 a aussi appelé les pays riches à apporter une aide technique et des financements pour le fonctionnement du Réseau de Santiago[24].

Le fait que les pays riches ne reconnaissent toujours pas leur responsabilité historique dans la crise climatique et leur devoir d’offrir réparation pour les pertes et les préjudices subis laisse les populations les plus touchées par les conséquences de cette crise sans voies de recours appropriées pour obtenir le soutien et les réparations nécessaires. Cette position contribue également à affaiblir les réponses mondiales au changement climatique, qui ne sont par conséquent pas à la mesure de l’ampleur de la crise, et entame un peu plus chaque année la confiance de la plupart des pays en développement touchés par cette crise dans le processus des négociations sur le climat. Il est donc impératif que les pays riches suivent rapidement l’exemple de l’Écosse et de la région belge de Wallonie,    qui se sont engagées à allouer des fonds spécifiques à l’indemnisation des pertes et préjudices[25]. Le processus officiel de dialogue sur le financement des pertes et préjudices mis en place à la COP26 doit, d’ici à la COP27, mener à la création d’un nouveau dispositif financier alimenté par de nouveaux financements complémentaires, distincts de ceux prévus pour l’atténuation du changement climatique et l’adaptation à celui-ci. Ce dispositif ne doit pas se limiter à un système d’assurance et doit offrir en temps voulu les moyens, l’aide et les voies de recours nécessaires, y compris sous la forme de réparations, aux personnes et aux populations, notamment les peuples autochtones, dont les droits humains ont été bafoués à cause de pertes et de préjudices engendrés par la crise climatique dans des pays en développement vulnérables au changement climatique.

Un manque d’ancrage des décisions dans les normes relatives aux droits humains

Le document final de la COP26 :

  • Adopte trois décisions concernant la mise en œuvre de l’article 6 de l’Accord de Paris sur les démarches concertées de réduction des émissions, notamment les marchés du carbone, décisions qui ne font référence que de manière symbolique au préambule de l’Accord de Paris, lequel reconnaît que les gouvernements doivent respecter, promouvoir et prendre en considération leurs obligations respectives en matière de droits humains lorsqu’ils prennent des mesures face au changement climatique[26]. Ces décisions ne prévoient cependant pas de mécanismes concrets pour garantir que les projets de compensation carbone et les autres démarches de réduction des émissions non fondées sur les marchés ne violent pas les droits humains des populations concernées. En particulier, elles ne mentionnent pas l’obligation de respecter les droits humains lors de la conception des activités liées au marché du carbone dans le cadre du Mécanisme de développement durable, ni l’obligation des États de respecter le droit des peuples autochtones au consentement préalable, libre et éclairé. Si le texte final adopté indique que les plaintes liées aux projets de compensation carbone « peuvent être traitées par le bais d’un processus de plainte indépendant », il ne donne aucun détail sur ce mécanisme[27]. Ce manque de garanties relatives aux droits humains est particulièrement préoccupant car les projets de compensation carbone présentent d’énormes risques, notamment pour les peuples autochtones et les autres groupes les plus touchés par la crise climatique. L’adoption à la COP26 de règles de mise en œuvre des marchés internationaux du carbone pourrait entraîner la multiplication des projets de compensation carbone menés par des États ou des entreprises partout dans le monde. En conséquence, des peuples autochtones risquent d’être dépossédés de leurs terres ancestrales et d’autres populations expulsées de force au nom de projets d’atténuation du changement climatique, dont beaucoup – tels que les bioénergies ou les barrages hydroélectriques – ont une efficacité douteuse ou limitée en matière de réduction des émissions.
  • Adopte un nouveau programme de travail décennal sur l’Action pour l’autonomisation climatique (AAC) en vue de renforcer l’éducation au changement climatique, la formation, la sensibilisation, la participation du grand public et l’accès de la population à l’information[28]. Cependant, il n’ancre pas ce programme de travail dans le droit, les principes et les normes relatifs aux droits humains. Les références explicites aux droits humains comme principe directeur ont été supprimées à l’étape finale des négociations, à la fin de la première semaine de la COP26. Néanmoins, le document final de la COP26 appelle les États à respecter, promouvoir et prendre en considération leurs obligations respectives en termes de droits humains, ainsi que l’égalité des genre et l’autonomisation des femmes, dans le cadre de la mise en œuvre du programme de travail sur l’AAC[29].
  • Fait référence au préambule de l’Accord de Paris, qui dispose que « lorsqu'elles prennent des mesures face [au changement climatique], les Parties devraient respecter, promouvoir et prendre en considération leurs obligations respectives concernant les droits de l’homme, le droit à la santé, les droits des peuples autochtones, des communautés locales, des migrants, des enfants, des personnes handicapées et des personnes en situation vulnérable et le droit au développement, ainsi que l’égalité des sexes, l’autonomisation des femmes et l’équité entre les générations[30] ». Cette référence est la bienvenue, mais les États ne sont pas allés plus loin et ne se font pas l’écho dans leur décision finale des avancées récentes pertinentes et importantes survenues au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, comme la résolution reconnaissant le droit à un environnement propre, sain et durable[31] et la résolution créant un mandat de rapporteur spécial sur les droits de l’homme et le changement climatique[32].
  • Reconnaît « la nécessité de garantir des mesures de transition justes qui favorisent un développement durable et l’élimination de la pauvreté, ainsi que la création de travail décent et d’emplois de qualité ». C’est une bonne chose que le rôle essentiel d’une transition juste soit reconnu, mais il aurait été préférable de faire explicitement référence à un processus respectueux des droits humains, qui garantisse que tous les droits des personnes concernées ne soient pas seulement protégés, mais aussi bel et bien renforcés tout au long de la transition. Par ailleurs, il n’est pas demandé aux États de préparer dans un délai donné des plans concrets et appropriés pour une transition juste. C’est profondément préoccupant car il faudrait que ces plans soient élaborés et mis en œuvre avant la sortie progressive des énergies fossiles et des autres activités économiques fortement émettrices de carbone, plutôt qu’après coup. 
  • Évoque le rôle de la culture et des connaissances des peuples autochtones et des populations locales dans une action efficace sur le changement climatique, et appelle les Parties à impliquer activement les peuples autochtones et les populations locales dans la conception et la mise en œuvre de l’action climatique[33]. C’est une reconnaissance importante qui, cependant, n’est pas à la hauteur des normes internationales car elle ne rappelle pas l’obligation des États et la responsabilité des entreprises de respecter le droit des peuples autochtones au consentement préalable, libre et éclairé.

À l’avenir, les États doivent veiller à ce que les références aux droits humains figurant dans les décisions de la COP26 se traduisent par des mesures efficaces garantissant le respect, la protection et la mise en œuvre des droits fondamentaux dans le cadre de l’action climatique. En particulier, la mise en œuvre du programme de travail de Glasgow sur l’AAC doit conduire à garantir les droits à l’accès à l’information, à la participation aux affaires publiques, à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, ainsi que le droit des peuples autochtones de donner leur consentement préalable, libre et éclairé dans le cadre de toutes les décisions relatives au climat qui ont des conséquences sur leurs droits aux niveaux national, régional et international. La présidence de la COP et la CCNUCC doivent veiller à ce que tou·te·s les représentant·e·s des peuples autochtones et des organisations de la société civile aient pleinement et équitablement accès à la COP27 et à toutes les futures négociations sur le changement climatique[34].

Les États doivent considérer comme une priorité la réduction des émissions absolues en sortant de toute urgence des énergies fossiles et en passant à des énergies renouvelables produites dans le respect des droits humains, plutôt que de s’appuyer sur les marchés du carbone et des mécanismes d’élimination du carbone. Lorsqu’ils s’engagent dans des projets de compensation carbone, ils doivent respecter leurs obligations relatives aux droits humains et veiller à ce que ces droits ne soient pas bafoués dans le cadre des projets en question. Pour cela, ils doivent notamment procéder à une évaluation des conséquences des projets sur les droits humains avant leur mise en œuvre et continuer à exercer une surveillance tout au long du processus, tout en veillant à ce que l’ensemble des parties concernées soient véritablement consultées et que le droit des peuples autochtones au consentement préalable, libre et éclairé soit respecté. Lors des prochaines négociations sur le changement climatique, les États doivent aussi adopter des décisions qui garantissent que les références aux droits humains figurant dans les décisions de la COP26 sur les marchés du carbone et les autres approches concertées se traduisent par des mesures concrètes de protection des droits fondamentaux et aboutissent à la mise en œuvre d’un mécanisme de plaintes totalement indépendant offrant une voie de recours aux victimes de violations des droits humains.

 

[1] Climate Action Tracker, Glasgow’s one degree 2030 credibility gap: Net zero’s lip service to climate action, 9 novembre 2021, climateactiontracker.org/press/Glasgows-one-degree-2030-credibility-gap-net-zeros-lip-service-to-climate-action/.

[2] Voir Amnistie internationale, Recommandations aux États en prévision de la COP26 pour une action climatique respectueuse des droits humains, 20 octobre 2021, amnistie.ca/sinformer/2021/international/recommandations-aux-etats-en-vue-de-la-cop26-pour-une-action.

[3] Pacte de Glasgow pour le climat, 13 novembre 2021, doc. ONU FCCC/PA/CMA/2021/L.16, § 21 et 22 (en anglais).

[4] Pacte de Glasgow pour le climat, 13 novembre 2021, doc. ONU FCCC/PA/CMA/2021/L.16, § 29 (en anglais). Les États qui n’ont pas encore soumis leurs CDN ou leurs stratégies à long terme sont priés de le faire au plus vite avant la COP27 (paragraphes 28 et 32).

[5] Pacte de Glasgow pour le climat, 13 novembre 2021, doc. ONU FCCC/PA/CMA/2021/L.16, § 33 (en anglais).

[6] Pacte de Glasgow pour le climat, 13 novembre 2021, doc. ONU FCCC/PA/CMA/2021/L.16, § 32 (en anglais).

[7] Voir Amnistie internationale, Nos droits brûlent ! Les gouvernements et les entreprises doivent agir pour protéger l’humanité face à la crise climatique, 7 juin 2021, amnistie.ca/sinformer/2021/les-gouvernements-doivent-cesser-de-bruler-nos-droits-en-connivence-avec-le-secteur, p. 68-71 et 95-98.

[8] Pacte de Glasgow pour le climat, 13 novembre 2021, doc. ONU FCCC/PA/CMA/2021/L.16, § 36 (en anglais).

[9] Décision sur les Règles, modalités et procédures applicables au mécanisme créé en vertu du paragraphe 4 de l’article 6 de l’Accord de Paris, § 73, unfccc.int/sites/default/files/resource/cma3_auv_12b_PA_6.4.pdf (en anglais).

[10] Center for International Environmental Law, “At COP26, a Failure of Vision, Action, Equity and Urgency”, ciel.org/news/at-cop26-a-failure-of-vision-action-equity-and-urgency/.

[11] Amnistie internationale qualifie de « pays en développement ayant le plus de capacités » les pays classés par la Banque mondiale dans la catégorie dite « à revenu intermédiaire supérieur » et faisant partie du G20, à savoir la Chine, l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Brésil, le Mexique, la Corée du Sud et l’Indonésie.

[12] Pacte de Glasgow pour le climat, 13 novembre 2021, doc. ONU FCCC/PA/CMA/2021/L.16, § 44 (en anglais).

[13] Pacte de Glasgow pour le climat, 13 novembre 2021, doc. ONU FCCC/PA/CMA/2021/L.16, § 46 (en anglais).

[14] Voir Climate Finance Delivery Plan; Meeting the US$100 Billion Goal, ukcop26.org/wp-content/uploads/2021/10/Climate-Finance-Delivery-Plan-1.pdf.

[15] Décision sur le nouvel objectif chiffré collectif pour le financement de l’action climatique, unfccc.int/sites/default/files/resource/New_collective_goal_decision_1.pdf (en anglais).

[16] Selon les informations recueillies par le Comité permanent du financement de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), 78 des 153 CDN contiennent une évaluation du coût des besoins, et ce coût atteint 5 800 à 5 900 milliards de dollars des États-Unis jusqu’à 2030. Seuls 11 % des besoins ainsi chiffrés précisent si le financement sera national ou international ; parmi ceux-ci, 502 milliards de dollars sont identifiés comme nécessitant un financement international et 112 milliards comme financés nationalement. Voir Comité permanent du financement de la CCNUCC, First report on the determination of the needs of developing country Parties related to implementing the Convention and the Paris Agreement, 2021, § 16, unfccc.int/topics/climate-finance/workstreams/needs-report. (Chiffres au 31 mai 2021.)

[17] Pacte de Glasgow pour le climat, 13 novembre 2021, doc. ONU FCCC/PA/CMA/2021/L.16, § 29 (en anglais).

[18] Les chiffres les plus récents sur les flux financiers liés au climat datent de 2019, voir oecd-ilibrary.org/fr/finance-and-investment/financement-climatique-fourni-et-mobilise-par-les-pays-developpes-tendances-agregees-mises-a-jour-avec-les-donnees-de-2019_68a276c9-fr. Un doublement du financement des mesures d’adaptation par rapport au niveau de 2019 donnerait un montant d’environ 40 milliards de dollars des États-Unis. Or, selon les estimations, les besoins en matière de financement des coûts d’adaptation annuels pourraient atteindre 140 à 300 milliards de dollars d’ici 2030 et 280 à 500 milliards d’ici 2050. Voir Programme de l’ONU pour l’environnement, Rapport 2021 sur l'écart entre les besoins et les perspectives en matière d'adaptation aux changements climatiques, 1er novembre 2021, unep.org/fr/resources/rapport-2021-sur-lecart-entre-les-besoins-et-les-perspectives-en-matiere-dadaptation-aux.

[19] Pacte de Glasgow pour le climat, 13 novembre 2021, doc. ONU FCCC/PA/CMA/2021/L.16, § 41 (en anglais).

[20] Pacte de Glasgow pour le climat, 13 novembre 2021, doc. ONU FCCC/PA/CMA/2021/L.16, § 48 (en anglais).

[21] Pacte de Glasgow pour le climat, 13 novembre 2021, doc. ONU FCCC/PA/CMA/2021/L.16, § 55 (en anglais).

[22] Pacte de Glasgow pour le climat, 13 novembre 2021, doc. ONU FCCC/PA/CMA/2021/L.16, § 73 (en anglais).

[23] Décision sur le Mécanisme international de Varsovie relatif aux pertes et préjudices liés aux incidences des changements climatiques, doc. ONU FCCC/CP/2021/L.15, § 9, undocs.org/FCCC/CP/2021/L.15.

[24] Pacte de Glasgow pour le climat, 13 novembre 2021, doc. ONU FCCC/PA/CMA/2021/L.16, § 70 (en anglais).

[25] Scottish Government, “Scotland to boost climate funding”, 11 novembre 2021, gov.scot/news/scotland-to-boost-climate-funding/ ; “COP26: Wallonia earmarks one million euros for loss and damage”, The Brussels Times, 14 novembre 2021, brusselstimes.com/news/193568/cop26-wallonia-earmarks-one-million-euros-for-loss-and-damages/.

[26] Voir Décision sur les Directives concernant les démarches concertées visées au paragraphe 2 de l’article 6 de l’Accord de Paris, préambule et § 18(i), 18(j) et 22(g), unfccc.int/sites/default/files/resource/cma3_auv_12a_PA_6.2.pdf (en anglais) ; Décision sur les Règles, modalités et procédures applicables au mécanisme créé en vertu du paragraphe 4 de l’article 6 de l’Accord de Paris, préambule et § 24(a)(ix), unfccc.int/sites/default/files/resource/cma3_auv_12b_PA_6.4.pdf (en anglais) ; Décision sur le Programme de travail relevant du cadre pour les démarches non fondées sur le marché visées au paragraphe 8 de l’article 6 de l’Accord de Paris, préambule et § 3(a), unfccc.int/sites/default/files/resource/cma3_auv_12c_PA_6.8.pdf (en anglais).

[27] Décision sur les Règles, modalités et procédures applicables au mécanisme créé en vertu du paragraphe 4 de l’article 6 de l’Accord de Paris, § 62, unfccc.int/sites/default/files/resource/cma3_auv_12b_PA_6.4.pdf (en anglais).

[28] Examen du programme de travail de Doha sur l’article 6 de la Convention, doc. ONU FCCC/SBI/2021/L.18, undocs.org/FCCC/SBI/2021/L.18.

[29] Pacte de Glasgow pour le climat, 13 novembre 2021, doc. ONU FCCC/PA/CMA/2021/L.16, § 91 (en anglais).

[30] Pacte de Glasgow pour le climat, 13 novembre 2021, doc. ONU FCCC/PA/CMA/2021/L.16, préambule (en anglais).

[31] Conseil des droits de l’homme, Résolution 48/13, Droit à un environnement propre, sain et durable, 18 octobre 2021, doc. ONU A/HRC/RES/48/13.

[32] Conseil des droits de l’homme, Résolution 48/14, Mandat du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte des changements climatiques, 13 octobre 2021, doc. ONU A/HRC/RES/48/14.

[33] Pacte de Glasgow pour le climat, 13 novembre 2021, doc. ONU FCCC/PA/CMA/2021/L.16, § 93 (en anglais).

[34] À la COP26, les représentants et représentantes des organisations de la société civile et des peuples autochtones ont eu du mal à participer véritablement aux négociations et aux autres activités, en raison notamment de restrictions sans précédent à l’accès à la plupart des lieux de la conférence et d’un système de billetterie limitant la participation à seulement deux personnes par groupe intéressé pendant le Sommet des dirigeant·e·s mondiaux, de longs temps d’attente pour pénétrer sur le site et de difficultés à se connecter à la plateforme en ligne. Ces problèmes ont conduit les rapporteurs spéciaux des Nations unies sur les droits de l’homme et l’environnement et sur les droits de l’homme et les produits dangereux à adresser un courrier de protestation à la présidence britannique de la COP26. Voir drive.google.com/file/d/1UhnGKKqTQHCE1eJjh8IaC2yjGjkMjqJd/view (en anglais).