• 26 oct 2021
  • International
  • Communiqué de presse

Recommandations aux États en vue de la COP26 pour une action respectueuse des droits humains

La crise climatique est une crise des droits humains. La marge de manœuvre pour limiter l’augmentation de la température mondiale moyenne sous la barre de 1,5 °C diminue rapidement. 

Lors de la COP26, les États doivent prendre des mesures audacieuses concernant la réduction des émissions, le financement climatique, les pertes et préjudices, les mécanismes du marché du carbone et l’Action pour l’autonomisation climatique (AAC), afin de respecter leurs obligations en matière de droits humains et de protéger les droits humains pour toutes et tous, maintenant et à l’avenir. 

DES CIBLES DE RÉDUCTION D’ÉMISSIONS D’ICI 2030 LARGEMENT INADÉQUATES 

La marge de manœuvre pour prévenir l’escalade de la crise des droits humains se rétrécit rapidement parce que la plupart des cibles de réduction d’émissions proposées par les États sont loin de respecter l’impératif de 1,5 °C, malgré les mises en garde sévères des scientifiques et des instances des Nations Unies, et la mobilisation constante de la jeunesse, des peuples autochtones et des organisations de la société civile.  

Les pays riches industrialisés 3 et d’autres pays fortement émetteurs manquent particulièrement à leurs devoirs. En date du 18 octobre, plusieurs d’entre eux doivent encore soumettre leur nouvelle CDN (la Chine, l’Inde, l’Arabie saoudite, la Corée du Sud) ou une cible plus ambitieuse pour 2030 (l’Australie, le Brésil, le Japon, Mexico et la Russie). D’autres pays, comme le Canada, l’Europe, le Royaume-Uni et les États-Unis, ont soumis des cibles de réduction d’émissions plus élevées que leurs cibles précédentes, mais qui ne reflètent pas leur niveau de responsabilité ou leur capacité d’agir, ni ne respectent l’impératif de limiter autant que possible l’augmentation de la température moyenne mondiale, sans dépasser 1,5 °C au-dessus du niveau de l’ère préindustrielle4. Aucun de ces pays ne vise à atteindre zéro émission d’ici 2030 ou peu après.  

À la prochaine COP26, les États ne doivent pas seulement reconnaître l’écart énorme entre les cibles actuelles et l’impératif de 1,5 °C, ils doivent aussi s’engager à adopter des plans concrets, justes et respectueux des droits humains pour l’atteindre rapidement5. L’Accord de Paris oblige les États à soumettre des CDN nouvelles et plus ambitieuses au moins à tous les cinq ans (Art. 4.9), mais il leur permet aussi de faire connaître leurs CDN renforcées à tout moment (Art. 4.11). Les États, particulièrement les pays riches et les pays à forte émission, doivent faire cela de toute urgence. 

RECOMMANDATIONS 

Pour la COP26, Amnistie internationale demande à tous les États parties : 

  • De s’engager collectivement à réduire les émissions mondiales d’au moins 45 % (par rapport au niveau de 2010) d’ici 2030, et à atteindre l’objectif zéro émission avant ou d’ici 2050, conformément aux données scientifiques du GIEC sur les réductions minimales requises pour limiter l’augmentation de la température mondiale à 1,5 °C du niveau préindustriel. 

  • De reconnaître l’écart significatif entre les engagements actuels pour 2030 et ce qui est requis pour limiter l’augmentation de température à 1,5 °C, et d’adopter des plans concrets pour combler cet écart. Cela implique que l’on demande à tous les États dont les CDN ne sont pas conformes à l’objectif de 1,5 °C, de soumettre de nouveaux plans de réduction d’émissions d’ici 2030, avant le prochain cycle de rehaussement des ambitions de l’Accord de Paris (la « clause cliquet » ou ratchet mechanism) prévu en de 2025, afin de rétablir leur trajectoire vers l’objectif de 1,5 °C. 

  • De s’engager envers une transition juste, respectueuse des droits humains et des droits à l’information et à la participation citoyenne dans leurs processus de mise en œuvre.  

Tous les États qui n’ont pas encore soumis leurs CDN renforcées ainsi que ceux dont les CDN et les stratégies à long terme ne sont pas conformes à l’objectif de 1.5 °C, particulièrement les pays riches industrialisés et autres pays à fortes émissions, se doivent :  

  • De soumettre de nouvelles CDN plus ambitieuses et respectueuses des droits humains et des stratégies à long terme de réduction d’émissions, en s’assurant que ces plans sont conformes à l’impératif de limiter autant que possible l’augmentation de la température moyenne mondiale – et à moins de 1.5 °C des niveaux préindustriels – et reflètent la capacité maximale de chaque pays à réduire ses émissions le plus rapidement possible.  

  • Les pays riches et industrialisés devraient adopter des cibles d’émission plus ambitieuses qui leur permettront de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) de 50 % bien avant 2030 et atteindre zéro émission de carbone d’ici 2030 ou dès que possible après cette période.  

  • Les pays en développement ayant le plus de capacité6 doivent fixer des cibles qui leur permettront de réduire leurs émissions de GES d’au moins 45 % par rapport aux niveaux de 2010, d’ici 2030, ou dès que possible après cette période, et atteindre zéro émission d’ici 2050, selon les cibles de réduction d’émissions jugées nécessaires par le GIEC pour limiter le réchauffement global à 1,5 °C.  

  • D’autres pays en développement devraient viser à réduire leurs émissions à des niveaux permettant de ne pas dépasser la limite de 1,5 °C aussi rapidement que possible, en fonction de leurs capacités respectives et avec tout le soutien financier international prévu pour l’action climatique. 

  • S’engager à mettre pleinement en œuvre leurs cibles actuelles de réduction d’émissions ainsi que les plans déjà adoptés, et même à se montrer encore plus ambitieux, tout en assurant une transition juste et respectueuse des droits humains et en respectant les droits à l’information et à la participation pour toutes et tous dans les processus de mise en œuvre. 

UN FINANCEMENT CLIMATIQUE INADÉQUAT 

Malgré quelques promesses récentes, l’engagement des pays les plus riches à mobiliser 100 milliards de dollars US annuellement entre 2020 et 2025 pour soutenir l’aide climatique aux pays en développement ne s’est toujours pas matérialisé7. On reconnaît toutefois que même cet objectif est totalement inadéquat, d’autant plus que les fonds sont attribués de façon inefficace, puisque seulement le tiers des sommes se rendent effectivement dans les pays en développement, une fois soustraits les intérêts sur la dette et les financements qui ne ciblent pas les actions climatiques8. La prévalence des prêts comme mécanismes de financement climatique a comme conséquence d’augmenter le fardeau de la dette des pays en développement, réduisant ainsi les ressources disponibles pour réaliser les droits humains dans le pays.  

RECOMMANDATIONS 

En vue de la COP26, Amnistie internationale demande aux pays riches : 

  • De s’engager à augmenter de manière significative le financement aux pays les moins riches afin de les aider à mettre en place des actions climatiques adéquates et respectueuses des droits humains et des mesures pour une transition juste. Les États devraient garantir que leurs nouveaux engagements pour le climat n’incluent pas les engagements en cours ni le financement de l’aide au développement international. 

  • D’adopter un plan de livraison, avec des étapes claires et mesurables, permettant de respecter leur engagement à mobiliser collectivement au moins 100 milliards de dollars US par année d’ici 2025, incluant des compensations pour les sommes qui n’ont pas encore été versées.  

  • De s’engager clairement, lors de la COP26, à soutenir le financement climatique pour les pays à faible revenu par des mécanismes de subventions plutôt que de prêts, et à établir un meilleur équilibre de financement entre l’atténuation des risques et l’adaptation.  

  • D’augmenter la cible annuelle de financement climatique à partir de 2025 et au-delà, afin de répondre aux réels besoins de soutien des pays en développement.  

PERTES ET PRÉJUDICES  

La crise climatique affecte déjà gravement la jouissance des droits humains de nombreuses communautés dans le monde, et particulièrement dans les pays à faible revenu, les petits États insulaires, les pays en développement côtiers ou arides, qui sont les plus exposés aux impacts du changement climatique et les moins bien équipés pour y faire face. S’attaquer aux pertes et préjudices dus à des impacts climatiques qui ne seront pas ou ne pourront pas être évités par des mesures d’atténuation ou d’adaptation est une priorité de droits humains et de justice climatique puisque cela « vise à remédier, dans la mesure du possible, à l’injustice mondiale et aux souffrances humaines »9, ce que les États devraient reconnaître.   

La notion de pertes et préjudices est au cœur de l’accord de Paris (Art. 8), mais il n’y a toujours aucun mécanisme pour financer les réponses lorsque des pays en développement subissent des pertes et des préjudices, et cela ne fait pas partie de l’ordre du jour régulier des rencontres COP. Le Réseau de Santiago sur les pertes et préjudices est un comité consultatif de la CCNUCC créé lors de la COP25 pour fournir des conseils scientifiques et techniques aux pays affectés par des pertes et préjudices, mais il n’est pas encore opérationnel.  

RECOMMANDATIONS 

En vue de la COP26, Amnistie internationale demande à tous les États parties de la CCNUCC : 

  • De s’entendre sur des mécanismes de financement adéquats, soutenus par des engagements nouveaux et supplémentaires – différents des engagements pour l’atténuation et l’adaptation au changement climatique et différents des assurances – afin de fournir, en temps opportun, moyens, soutien et réparation, y compris des compensations, aux personnes et aux communautés, incluant les peuples autochtones, dont les droits humains ont été affectés suite aux pertes et préjudices causés par la crise climatique dans les pays en développement vulnérables au climat.  

  • D’exiger de nouvelles facilités de financement qui permettent aux groupes les plus affectés, comme les femmes, les peuples autochtones, les enfants, et autres groupes marginalisés, particulièrement ceux qui sont confrontés à des formes multiples et croisées de discrimination, de participer aux étapes d’élaboration des politiques et de prises de décision. 

  • Veiller à ce que le « réseau de Santiago » sur les pertes et les préjudices, créé lors de la COP25, soit pleinement opérationnel et renforcé, entre autres, par du financement nouveau et complémentaire aux engagements existants, des modalités financières et de gouvernance adéquates, et en mesure de fournir, en temps opportun, de l’assistance technique aux pays moins nantis afin de prévenir, minimiser et traiter les pertes et préjudices dus aux impacts du changement climatique dans les pays en développement et les communautés les plus vulnérables au climat. 

  • D’intégrer la question des pertes et préjudices en tant qu’élément régulier de l’ordre du jour des organes subsidiaires de la CCNUCC afin qu’elle soit abordée à chaque session.  

MÉCANISMES D’ÉCHANGE DE DROITS D’ÉMISSION DE CARBONE (ARTICLE 6) 

Les États devraient prioriser la réduction absolue des émissions de carbone en abandonnant rapidement les énergies fossiles et en se tournant vers des énergies renouvelables, produites de manière respectueuse des droits humains. La crise climatique a atteint un degré d’intensité et d’urgence d’une telle ampleur que les États ne doivent pas se contenter d’émissions compensatoires au maintien des combustibles fossiles, comme les marchés du carbone et des technologies d’élimination du carbone non encore démontrées, ou des changements dans l’usage des terres qui pourraient avoir de graves implications en termes de droits humains, comme de réduire les terres disponibles pour l’agriculture.  

Dans le contexte des négociations sur les règles de mise en place de l’article 6 de l’accord de Paris, il est primordial que les règles pour une approche coopérative de réduction des émissions de carbone permettent de stimuler des réductions encore plus ambitieuses, tout en assurant la protection des droits humains de toutes les communautés affectées, incluant les peuples autochtones et les communautés locales.  

RECOMMANDATIONS 

En vue de la COP26, Amnistie internationale demande à tous les États parties à la CCNUCC de rejeter tout mécanisme multilatéral d’échange des droits d’émission de carbone qui ne mène pas à de véritables réductions d’émissions et n’inclut pas de protection des droits humains. Plus particulièrement, les États doivent : 

  • S’assurer que les règles élaborées pour la mise en place de l’article 6 de l’accord de Paris permettent des réductions d’émissions rapides et réelles; et reconnaître leurs obligations à respecter, protéger et réaliser les droits humains lorsqu’ils s’engagent dans des marchés de carbone et autres approches de coopération.  

  • Inclure dans les règles de mise en œuvre des approches bilatérales de coopération de l’article 6, la nécessité pour les parties de s’assurer que leur participation se fait dans le respect des droits humains, y compris des droits autochtones. 

  • S’assurer que les règles de mise en œuvre du Mécanisme de développement durable, de l’article 6, incluent suffisamment de garanties de protection des droits humains. Ces protections doivent inclure : 

  • Des dispositions qui obligent les parties à réaliser des évaluations d’impact sur les droits humains avant d’adopter tout projet, politique ou programme relatif à l’article 6.4.  

  • Un accès adéquat à l’information et à la participation pour les personnes ou les communautés affectées, particulièrement les communautés minoritaires.  

  • Le respect du droit au consentement libre, préalable et éclairé des peuples autochtones, y compris lorsque les États souhaitent utiliser l’expérience et le savoir des peuples autochtones relativement aux mesures de changement climatique.  

  • Un mécanisme de plainte indépendant, accessible et efficace pour que les communautés puissent demander réparation pour les torts causés par des projets menés dans le cadre de l’article 6.4. 

  • S’assurer que la coopération entre les États, prévue par les mécanismes de l’article 6, entraîne une réduction réelle d’émissions de carbone plutôt que de créer une barrière additionnelle à des actions climatiques efficaces :  

  • En garantissant des règles précises pour la mise en place d’un mécanisme comptable rigoureux permettant de prévenir le double comptage, ainsi que des règles imposant la mise en place d’ajustements correspondants. 

  • En établissant un outil de supervision transparent ainsi que des mécanismes d’examen indépendant qui permettent à la société civile de connaître la portée des projets, de les suivre et de les vérifier afin de s’assurer que les réductions d’émissions de carbone dérivant de l’article 6 soient calculées correctement et reflètent les résultats réels de l’atténuation.  

  • En empêchant que les reports de Kyoto ou les crédits carbone MDP soient comptabilisés dans les cibles de réductions d’émissions établies par les États dans le cadre de l’accord de Paris. 

  • En incluant des garde-fous, tant pour l’achat que pour la vente de crédits carbone, dont l’établissement d’une limite au montant de crédits carbone qu’un pays peut acheter ou vendre.  

ACTION POUR L’AUTONOMISATION CLIMATIQUE (AAC) 

Renforcer l’éducation au changement climatique, la formation, la sensibilisation du public, la participation et l’accès du public à l’information, est un aspect important de la CCNUCC et de l’accord de Paris, mais cela fait aussi partie des obligations des États en matière de droits humains et constitue un facteur essentiel pour garantir une action climatique ambitieuse et efficace. Toutefois, le programme de travail de Doha (2012-2020) sur l’Action pour l’autonomisation climatique (AAC), la plate-forme principale pour la promotion de ces principes dans la gouvernance climatique, n’a pas réussi à établir un lien ferme avec le droit, les normes et les institutions relatives aux droits humains, et à les intégrer de façon cohérente dans les différents axes de travail de la CCNUCC  

RECOMMANDATIONS 

En vue de la COP26, Amnistie internationale demande aux États parties de la CCNUCC : 

  • D’adopter un nouveau programme d’Action pour l’autonomisation climatique (AAC) portant sur l’éducation climatique, la participation du public et l’accès à l’information, et en mesure de promouvoir la mise en œuvre effective de politiques climatiques respectueuses des droits humains :  

  • En s’assurant que le nouveau programme de travail de l’AAC soit ancré dans le droit, les principes et les normes relatives aux droits humains, et qu’il contienne des références claires et conformes aux obligations respectives des États en matière de droits humains, dont le droit d’accès à l’information, à la participation aux affaires publiques, aux libertés d’expression, d’association et de rassemblement pacifique, ainsi que le droit des peuples autochtones au consentement libre, préalable et éclairé.  

  • En reconnaissant le rôle des défenseures et des défenseurs des droits humains et de l’environnement dans la promotion d’actions climatiques ambitieuses et efficaces, et en s’engageant à les protéger, conformément à la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme des Nations Unies.  

  • En adoptant un plan de travail détaillé pour le nouveau programme de l’AAC, et en fixant des obligations de rapportage régulier et effectif pour les États parties, incluant des indicateurs, des cibles et des repères appropriés qui permettent de mesurer les progrès accomplis.  

  • En créant un mécanisme permettant d’améliorer le partage de l’information entre les parties ainsi que l’inclusion et la mise en œuvre de tous les éléments de l’AAC, dans tous les axes de travail de la CCNUCC.  

  • En exigeant que les États incluent des éléments de l’AAC dans le processus d’établissement des CDN et en rendent compte dans leurs rapports.