• 7 déc 2021
  • Canada
  • Communiqué de presse

Les récentes inondations en Colombie-Britannique ne doivent pas occulter la criminalisation honteuse des défenseur·e·s de la terre

Tous les yeux étaient encore tournés vers le territoire Wet’suwet’en au nord-ouest de la Colombie-Britannique en novembre, alors que des agents militarisés de la GRC ont arrêté des défenseur.e.s de la terre pacifiques et leurs sympathisants. C’est la troisième fois depuis 2019 que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) exécute l’injonction de chasser et d’arrêter les personnes opposées au controversé gazoduc de Coastal Gaslink (CGL), qui, s’il est complété, transportera du gaz de fracturation de l’Alberta jusqu’aux marchés de l’Asie de l’Est, au nom de TC Energy.

Au total, 36 personnes – dont des aînés et des journalistes – ont été arrêtées entre le 18 et le 29 novembre 2021. Ces arrestations se sont produites alors que les tensions étaient de plus en plus vives entre l’engagement public du Canada à respecter les peuples autochtones et prévenir le dérèglement climatique, et la realpolitik des combustibles fossiles.

L’équipe de négociation canadienne à la COP26 de Glasgow a promis de mettre fin aux subventions tous azimuts pour les projets de combustibles fossiles à l’étranger dès 2022, et d’éliminer le charbon d’ici 2030. Pourtant, ils n’ont pas réussi à s’engager dans des actions significatives qui limiteraient la hausse globale des températures à 1.5 C. Les discussions sur le climat sont largement considérées comme un échec lamentable par la société civile. Des leaders autochtones de partout dans le monde ont qualifié cet échec de « sentence de mort »(en anglais) pour les peuples autochtones.

Les négociateurs canadiens à la COP sont rentrés au pays sur fond d’inondations dévastatrices et de glissements de terrain qui ont tué 4 personnes en Colombie-Britannique, détruit des autoroutes majeures et ruiné les ressources agricoles en Colombie-Britannique, à Terre-Neuve et Labrador, et en Nouvelle-Écosse. Alors que se déroulait ce désastre climatique, les autorités envoyaient des agents de police lourdement armés et des unités canines pour arrêter les personnes qui s’opposaient à un projet de combustible fossile dont elles croient qu’il va menacer une source d’eau potable essentielle et un habitat du saumon.

Cette dissonance en a laissé plusieurs inquiets, confus, incertains de ce à quoi il fallait s’attaquer, et frustrés du double discours du gouvernement canadien.

Une note d’échec : le Canada ne respecte pas ses obligations internationales en matière de droits humains

Les arrestations récentes en territoire Wet’suwet’en violent les obligations du Canada envers les peuples autochtones et font fi d’une décision du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale des Nations Unies (CEDR). La tâche du CEDR est de s’assurer que les pays qui ont ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale respectent leurs obligations, et de les guider par des recommandations et des décisions lorsqu’ils doivent corriger ou remédier à des abus.

Le CEDR a interpellé le Canada en 2017, 2019, et 2020 sur son incapacité à respecter le droit des peuples autochtones à des consultations significatives et basées sur le principe de consentement libre, préalable et éclairé – qui émane de leur droit à l’autodétermination – en lien avec les pipelines Coastal Gaslink et Transmountain et Site C du barrage hydroélectrique en Colombie-Britannique.

Le Comité a demandé au Canada (en anglais):

  • D’arrêter immédiatement la construction et de suspendre tous les permis et toutes les approbations pour le pipeline de Coastal Gas Link sur les terres et territoires traditionnels et non cédés des Wet’suwet’en, jusqu’à ce qu’ils aient fourni leur consentement (CLPE), après s’être acquittés pleinement et adéquatement de leur obligation de consultation;
  • De mettre fin immédiatement aux évictions forcées des membres Wet’suwet’en;
  • De s’assurer qu’on n’utiliserait pas la force à l’encontre des Wet’suwet’en; et
  • De retirer les agents de la GRC et des services associés de police et de sécurité de leurs terres traditionnelles.

Dans un mépris flagrant des droits des communautés Wet’suwet’en, et de ses propres obligations liées à la Convention, le Canada n’a pas répondu à ces demandes.

Les plus hautes cours de justice canadiennes ont reconnu que les processus légaux autochtones existaient avant la déclaration légale du Canada ou la colonisation. Cela signifie que les lois canadiennes et les structures coloniales ont été mises en œuvre ou adoptées alors que le titre et les droits des Autochtones étaient pré-existants, et non l’inverse, comme le souhaiteraient les politiciens et les compagnies de pipelines. En 1997, la Cour suprême du Canada reconnaissait les droits et le titre des Wet’suwet’en sur leurs terres. Et, en 2021, le gouvernement de Colombie-Britannique et le gouvernement fédéral signaient un protocole d’entente qui « reconnaît que les droits et le titre des Wet’suwet’en sont détenus par les Maisons Wet’suwet’en selon leur système de gouvernance » et que « le Canada et la Colombie-Britannique reconnaissent les droits et le titre des Wet’suwet’en dans le Yintah ».

Pourtant, le Canada et la Colombie-Britannique ont choisi de criminaliser – avec violence – ceux et celles qui défendent paisiblement leurs droits et refusent de consentir à la spoliation de leurs terres. Les agissements du Canada ne respectent pas leurs obligations internationales ni les législations fédérales et provinciales pour la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Les obligations internationales du Canada en matière de droits humains sont claires

La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones affirme que les peuples autochtones ont le droit de prendre leurs propres décisions quant à leur vie et à leur avenir, selon leurs propres lois et traditions. C’est un point fondamental. Sinon on ne fait que maintenir les structures et les pratiques de la domination coloniale que la Déclaration rejette.

L’un des objectifs principaux des instruments de droits humains, comme la Déclaration, est de pousser le gouvernement vers les plus hauts standards lorsqu’il y a conflit entre ce qui serait politiquement plus rentable, et ce qui est juste. Lorsque les gouvernements et les compagnies consultent les communautés ou concluent des ententes avec elles, ils devraient être prêts à entendre « oui », « non », « peut-être » ou « pas tout de suite ». Le vrai test de la réconciliation se pose lorsque les peuples autochtones disent « non », ou « pas tout de suite ».

Les projets peuvent être modifiés. De nouveaux tracés peuvent être identifiés pour les pipelines, ou des sources alternatives d’énergie dans le cas de barrages hydroélectriques. Les projets peuvent être retardés jusqu’à ce qu’un accord soit obtenu. Et ils peuvent aussi être abandonnés en faveur d’autres projets où le consentement peut être obtenu librement. Une expertise internationale peut offrir aux compagnies un processus par étapes lorsqu’il n’y a pas de consentement, ou des façons de se retirer pendant la vie d’un projet. Il ne fait aucun doute qu’il puisse y avoir de sérieuses conséquences économiques à ne pas poursuivre un projet, ou à s’en retirer. Mais les coûts financiers et sociaux et les dommages environnementaux affectent aussi d’autres personnes, et pourraient être évités en annulant un projet.

Trouver le bon équilibre entre les bénéfices et les torts est une importante question de débats et de politiques publiques. En ces temps de crise climatique, l’exigence d’équilibre doit être traitée avec vision, audace et justice. Si l’humanité veut survivre, il faut que les questions de droits humains soient au cœur d’une transition juste. Les savoirs autochtones sont un élément crucial de cette transition.

Au nord-ouest de la Colombie-Britannique, les chefs héréditaires des cinq clans Wet’suwet’en affirment :

« Tous les clans Wet’suwet’en ont rejeté le pipeline de gaz de fracturation de Coastal Gas Link parce qu’ici, c’est notre maison. Nos plantes médicinales, nos baies, notre nourriture, les animaux, notre eau, notre culture, tout cela est ici depuis des temps immémoriaux. Nous avons l’obligation de protéger nos modes de vie et nos enfants à venir. »

Peu importe ce que le gouvernement de l’heure choisira de faire, il ne pourra simplement ignorer les droits inaliénables protégés par le droit international et la Constitution. La Commission de vérité et réconciliation concluait que pendant des siècles, les lois et les politiques coloniales avaient une intention génocidaire. En continuant d’ignorer les droits inhérents des peuples autochtones du Canada à prendre leurs propres décisions selon leurs lois et leurs traditions propres, en refusant la consultation et les démarches de recherche de consentement pour TOUS les peuples Wet’suwet’en, et en criminalisant ceux et celles qui disent « non » ou « pas tout de suite » ou « pas exactement comme cela », le Canada contribue à renforcer la relation coloniale injuste qui existe entre le Canada et les peuples autochtones.

Tara Scurr, Amnistie internationale Canada anglophone

Agissez !

  1. Envoyez des messages>>> au gouvernement, demandant que les autorités se conforment à la décision du CEDR et respectent le titre et les droits des Wet’suwet’en.
  2. Démontrez votre solidarité : Le clan Gidimt’en est l’un des cinq clans de la Nation Wet’suwet’en. Cas Yikh fait partie du territoire du clan Gidimt’en au sein de la Nation Wet’suwet’en. C’est là que les chefs héréditaires ont approuvé la construction du Camp Coyote afin de protéger la Wedzin Kwa (rivière Morice) du forage par Coastal GasLink, et c’est là que de nombreuses arrestations ont eu lieu. Vous pouvez trouver comment visiter la communauté, collecter des fonds, envoyer des biens de première nécessité ou soutenir le travail juridique.

Apprendre : Lire notre Lettre ouverte au premier ministre Trudeau, au premier ministre Horgan et à la Commissaire de la GRC Brenda Lucki