• Arabie saoudite

UNE SAOUDIENNE EMPRISONNÉE POUR DES TWEETS EN FAVEUR DES DROITS DES FEMMES

CONTEXTE

Le 16 novembre 2022, les autorités saoudiennes ont arrêté Manahel al Otaibi, âgée de 29 ans. Celle-ci est soumise à une disparition forcée depuis novembre 2023. Elle a été inculpée d’infraction à la Loi relative à la lutte contre la cybercriminalité en raison de ses tweets en faveur des droits des femmes et pour avoir publié sur Snapchat des photos d’elle sans abaya (une tunique traditionnelle à manches longues et à la coupe ample) dans un centre commercial. Son dossier a été renvoyé par le tribunal pénal de Riyadh devant le Tribunal pénal spécial, qui a été créé pour juger des affaires de terrorisme. Cette juridiction est bien connue pour ses procès d’une iniquité flagrante et pour prononcer des peines sévères, y compris des condamnations à mort, à l’encontre de personnes qui s’expriment pacifiquement en ligne. Les autorités saoudiennes doivent libérer immédiatement et sans condition Manahel al Otaibi et abandonner les poursuites engagées contre elle.

En mars 2018, presque cinq ans avant l’arrestation de Manahel al Otaibi, le prince héritier Mohamed bin Salman a déclaré lors d’une interview télévisée que « la tenue des femmes doit être décente et respectueuse, comme celle des hommes », mais que la loi « ne précise pas particulièrement qu’elles doivent porter une abaya noire ou un voile noir », et que « la décision est laissée entièrement aux femmes quant au type de tenue décente et respectueuse qu’elles choisissent de porter ».

Le dossier de Manahel al Otaibi a été traité dans un premier temps par le tribunal pénal de Riyadh. Le 23 janvier 2023, celui-ci a estimé qu’il n’avait pas compétence pour juger cette affaire et l’a renvoyée devant le Tribunal pénal spécial, qui siège également dans la capitale saoudienne. Le Tribunal pénal spécial utilise régulièrement des dispositions floues de la législation sur la cybercriminalité et la lutte contre le terrorisme qui assimilent l’expression pacifique d’opinions à du « terrorisme ». Amnistie Internationale a recueilli des informations attestant que chaque étape de la procédure judiciaire devant le Tribunal pénal spécial est entachée de violations des droits humains.

Les deux sœurs de Manahel al Otaibi ont également été poursuivies pour des « infractions » découlant de leur mobilisation en faveur des droits des femmes. Dans le dossier d’accusation de Manahel al Otaibi, le procureur du tribunal pénal de Riyadh a accusé sa sœur Fawzia de mener une « campagne de propagande pour inciter les filles saoudiennes à dénoncer les principes religieux et à se rebeller contre les coutumes et traditions de la culture saoudienne », parce qu’elle a utilisé un hashtag qui « promeut la libération et la fin de la tutelle masculine ». Ce document de procédure, examiné par Amnistie Internationale, indique qu’une ordonnance distincte sera émise pour l’arrestation de Fawzia al Otaibi. Leur autre sœur, Mariam, une militante bien connue pour ses prises de position contre la tutelle masculine dans le pays, a été inculpée et détenue par le passé pour avoir défendu les droits des femmes et elle est actuellement soumise à une interdiction de voyager.

Dans une affaire similaire à celle de Manahel al Otaibi, le 25 janvier 2023, le Tribunal pénal spécial a de nouveau condamné Salma al Shehab, étudiante en doctorat à l’université de Leeds et mère de deux enfants, à 27 ans de réclusion suivis de 27 ans d’interdiction de voyager en appel. Il l’a déclarée coupable d’infractions liées au terrorisme à l’issue d’un procès d’une iniquité flagrante, pour avoir publié des tweets soutenant les droits des femmes.

À la mi-2021, la quasi-totalité des défenseur·e·s des droits humains, des défenseur·e·s des droits des femmes, des journalistes indépendants, des écrivain·e·s et des militant·e·s du pays étaient détenus arbitrairement, faisaient l’objet de procès iniques prolongés – la plupart du temps devant le Tribunal pénal spécial – ou avaient été libérés sous des conditions comprenant des interdictions de voyager et d’autres restrictions arbitraires de leurs droits fondamentaux, comme le droit de militer pacifiquement.

Au 31 janvier 2024, Amnistie Internationale avait rassemblé des informations sur les cas d’au moins 69 personnes poursuivies pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, parmi lesquelles des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s politiques pacifiques, des journalistes, des poètes et des dignitaires religieux, dont 32 pour avoir exprimé pacifiquement leurs opinions sur les réseaux sociaux. Le nombre réel des procédures engagées à ce titre est probablement beaucoup plus élevé.

LETTRE À ENVOYER

Monsieur le Ministre,

Je vous écris pour vous faire part de mon inquiétude au sujet de la disparition forcée à laquelle Manahel al Otaibi est soumise par les autorités saoudiennes depuis novembre 2023. Cette femme est détenue depuis le 16 novembre 2022 et, bien qu’on ignore encore où elle se trouve actuellement, elle est dans l’attente d’un procès devant le Tribunal pénal spécial, accusée d’avoir enfreint la Loi relative à la lutte contre la cybercriminalité parce qu’elle a publié des tweets comportant des hashtags en faveur des droits des femmes et diffusé sur Snapchat des photos d’elle vêtue d’une tenue « indécente » dans un centre commercial. Peu avant que ses proches ne perdent contact avec elle, elle leur a dit qu’elle avait été violemment battue par une autre prisonnière.

Selon des documents de procédure qu’Amnistie Internationale a pu consulter, Manahel al Otaibi est poursuivie pour « publication et diffusion de contenu comportant la commission de péchés en public et incitant des personnes et des filles dans la société à renoncer aux principes religieux et aux valeurs sociales ainsi qu’à porter atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs sur son compte Twitter », en violation de la Loi relative à la lutte contre la cybercriminalité. Les charges retenues contre elle reposent sur ses publications de réseaux sociaux jugées « contraires aux règles et aux lois relatives aux femmes », notamment par l’utilisation du hashtag #EndMaleGuardianship. Le procureur a également fait référence à des procès-verbaux dressés en 2018 et 2019 par le Comité pour la propagation de la vertu et la prévention du vice, la police religieuse, qui l’a accusée de ternir la réputation du royaume et de s’être rendue au centre commercial sans porter d’abaya, en prônant le retrait du hidjab et en publiant des photos de cette sortie sur Snapchat.

Je vous appelle à ordonner la libération immédiate et sans condition de Manahel al Otaibi, car elle est détenue uniquement pour avoir exercé pacifiquement son droit à la liberté d’expression. Dans l’attente de sa libération, les autorités doivent révéler à sa famille le lieu où elle se trouve. Je vous demande également de cesser d’utiliser le Tribunal pénal spécial pour museler systématiquement la défense des droits humains et la liberté d’expression, d’abroger ou de modifier en profondeur la Loi de lutte contre le terrorisme et la Loi relative à la lutte contre la cybercriminalité, qui érigent en infraction la dissidence pacifique, et d’adopter de nouvelles lois qui soient pleinement conformes au droit international relatif aux droits humains.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma haute considération.

APPELS À  

Waleed Mohammed Al Smani
Ministre de la Justice Riyadh, 
Arabie saoudite Postal Code 11472, P.O. Box 7775
Courriel : minister-office@moj.gov.sa 
 

COPIES À  

Mélanie Joly
Ministre des Affaires étrangères
111, rue Wellington
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Aucun timbre requis
Courriel:  melanie.joly@parl.gc.ca  
 

Son Excellence Mme Amal Yahya ALMOALIMI
Ambassade du Royaume d'Arabie saoudite 
201, promenade Sussex 
Ottawa, ON K1N 1K6 
Canada 
Tel: (613) 237-4100 Fax: (613) 237-0567 
Email: caemb@mofa.gov.sa