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Il faut rendre justice à une victime de torture en danger au Chili

CONTEXTE

En octobre 2019, Moisés Órdenes a été agressé par des policiers chiliens alors qu’il manifestait de manière pacifique. Plus de trois ans plus tard, le 5 décembre 2022, le parquet de l’est de la Région métropolitaine de Santiago, qui a enquêté sur cette affaire, a décidé de clôturer l’enquête sur sept des 13 fonctionnaires inculpés pour cette attaque. La famille et les avocats de Moisés Órdenes affirment que certains éléments n’ont pas encore été examinés, et que l’enquête est loin d’être complète. Nous demandons à la procureure régionale du bureau de l’est de la Région métropolitaine de Santiago de rouvrir l’enquête sur ces sept policiers et de garantir le droit de Moisés Órdenes à la justice.

À la mi-octobre 2019, des millions de personnes sont descendues dans la rue à travers le Chili afin de revendiquer l’égalité et le respect des droits sociaux et économiques, notamment des retraites adéquates, l’accès au logement, à une éducation publique de qualité et à des soins de santé. Le président Sebastian Piñera a réagi en décrétant l’état d'urgence, et a déployé l’armée et la police afin d’étouffer le mouvement de protestation. Amnistie Internationale a envoyé une équipe de crise dans le pays, et a recensé des violations des droits humains et même des crimes au regard du droit international perpétrés par les forces de sécurité.

Après avoir enquêté pendant un an, Amnistie Internationale a mis en avant dans un rapport 12 affaires emblématiques d‘homicides, de torture et de blessures imputés à des membres des Carabineros entre le 18 octobre et le 30 novembre, notamment les actes de torture qu’aurait subis Moisés Órdenes. Ce document a tiré des conclusions sur la responsabilité présumée du commandement des Carabineros dans les violations des droits humains ayant eu lieu sous son contrôle.

Lundi 21 octobre 2019 vers 20 h 40, Moisés Órdenes, 55 ans, manifestait de manière pacifique à proximité de la place Ñuñoa, dans la commune de Ñuñoa (Région métropolitaine de Santiago). Moisés Órdenes donnait des coups de cuillère en bois sur une poêle à frire, et filmait sur son téléphone tandis que la manifestation qui s’était déroulée tout au long de l’après-midi commençait à se disperser.

Soudain, et sans aucune provocation, un groupe de fonctionnaires des Forces spéciales (FFEE) a commencé à s’en prendre violemment à lui, en le poussant puis en le rouant de coups de matraque anti-émeutes. Moisés Órdenes a reçu un grand coup de pied dans le dos, qui l’a fait vaciller puis tomber face contre terre.

Ces représentants de l’État ont continué à le frapper à coups de poing, de pied et de matraque au visage, sur la tête et sur le reste de son corps tandis qu’il était à terre ; cela a été diffusé en direct par les caméras de la chaîne télévisée Chilevisión. Lorsqu’il est parvenu à se relever, le visage saignant abondamment, les fonctionnaires l’ont arrêté et fait monter à bord d’un fourgon de police.

Vers 21 h 40, Moisés Órdenes a été transporté aux urgences de l’hôpital El Salvador, où les lésions suivantes ont été relevées : traumatismes divers, dont « a. œil gauche clos, traumatisme grave ; b. traumatisme thoracique fermé associé à des contusions sur le côté gauche ; c. fracture à l’incisive centrale gauche ; d. luxation antérieure de l’épaule gauche (réduite) ; fracture comminutive du nez non déplacée (côté gauche) ; i. fractures des côtes (9-10-11) et petit pneumothorax sur le côté gauche ». Moisés Órdenes a alors passé neuf jours à l’hôpital El Salvador. Le 20 novembre, il a dû y retourner pour une perforation du poumon. Il a enfin pu sortir de l’hôpital le 10 décembre. Ces violences ont causé la perte de son œil gauche et un décollement de la rétine à l’œil droit, ainsi que d’autres blessures sur son corps.

Dans le cadre de son enquête initiale, le parquet a identifié les 13 fonctionnaires ayant participé à l’agression, les a inculpés d’actes de torture ayant provoqué de graves blessures. Cinq d’entre eux ont été accusés d’avoir activement torturé Moisés, et huit d’avoir permis à des actes de torture d’être perpétrés, et de n’avoir rien fait pour s’y opposer. L’officier à la tête de l’opération était un lieutenant qui dirigeait la 2e section du 28e poste de police des Forces spéciales (FF33 43-02). Il est l’un des hommes ayant roué Moisés Órdenes de coups. Sur les 13 fonctionnaires accusés de torture, 11 ont également été inculpés de falsification de documents publics, du fait des informations incorrectes qu’ils ont fournies en relation avec la plainte et des déclarations qu’ils ont faites dans le cadre de la procédure administrative, et d’entrave à l’enquête, en raison de leur manque de coopération durant les investigations et de leurs déclarations contradictoires.

Le 1er décembre 2022, le parquet a annoncé sa décision de poursuivre l’enquête sur sept de ces fonctionnaires. Le 5 décembre, le procureur adjoint spécialisé dans le crime organisé et les infractions complexes au bureau de l’est de la Région métropolitaine de Santiago a fait état de sa décision de renoncer à enquêter sur ces sept fonctionnaires, malgré les affirmations de la famille et de l’avocat de Moisés Órdenes selon lesquelles des investigations supplémentaires restaient à effectuer.

LETTRE À ENVOYER

Madame la Procureure,

Je vous écris afin de faire état de ma profonde crainte que les actes de torture subis par Moisés Órdenes aux mains des Carabineros ne restent impunis.

La décision du parquet de l’est de la Région métropolitaine, chargé de l’affaire, de clôturer l’enquête sur sept policiers initialement inculpés de torture, d’entrave à la justice et de dissimulation dans une affaire de violations graves des droits humains est prématurée, étant donné que certaines investigations importantes n'ont pas encore été effectuées, malgré les demandes des avocats de Moisés Órdenes à ce propos. Ce manquement est contraire à l’obligation internationale faite au Chili d’enquêter de manière approfondie sur les actes de torture et de les sanctionner.

Par ailleurs, les retards accumulés par les Carabineros dans le cadre de leurs enquêtes internes ont créé un climat qui n’est pas propice à la bonne marche de la justice et qui va à l’encontre des garanties de non-répétition.

Je vous demande de garantir la réouverture de l’enquête sur les violations des droits humains dont Moisés Órdenes a été victime, et de faire en sorte qu’elle soit exhaustive, indépendante et se déroule dans les meilleurs délais. Le droit de Moisés Órdenes à la justice, la vérité et des réparations doit être garanti, et tous les policiers soupçonnés d’être pénalement responsables de ses blessures doivent être amenés à rendre des comptes dans le cadre de procès équitables.

Veuillez agréer, Madame la Procureure, l’expression de ma haute considération.

APPELS À

Lorena Parra, procureure de l’est de la Région métropolitaine 

Los Militares N°5550, 

Comuna de Las Condes

Santiago, Chili

Courriel : lparra@minpublico.cl 

COPIES À

Mélanie Joly
Ministre des Affaires étrangères
111, rue Wellington
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Aucun timbre requis
Courriel:  melanie.joly@parl.gc.ca