• Iran

Huit prisonniers risquent une amputation des doigts

CONTEXTE

Au moins huit détenus de la prison centrale du Grand Téhéran, dans la province de Téhéran, risquent fortement une application imminente de leur peine d’amputation des doigts. Trois d’entre eux, sinon plus, ont été condamnés sur la base d’« aveux » entachés de torture, à l’issue d’un procès manifestement inique. L’un de ces trois hommes, Hadi Rostami, a été roué de coups par des gardiens le 12 juin et fait l’objet depuis lors d’une disparition forcée. 

Hadi Rostami, Mehdi Sharfian et Mehdi Shahivand ont été condamnés le 19 novembre 2019 à une peine d’amputation des doigts, après que le premier tribunal pénal de la province de l’Azerbaïdjan occidental les a reconnus coupables d’être entrés par effraction aux domiciles de quatre personnes et d’avoir volé l’or et le liquide enfermés dans des coffres. Leur procès a été manifestement inique et s'est fondé sur des « aveux » qui, selon ces hommes, ont été obtenus sous la torture alors qu’ils étaient détenus et soumis à interrogatoire, sans bénéficier des services d’un avocat, dans un centre de détention géré par le Service des enquêtes de la police iranienne (agahi). Selon des sources bien informées, les hommes ont été torturés : ils ont été roués de coups, notamment de pied et de câble, et suspendus par les poignets et les pieds pendant les interrogatoires. D’après ces mêmes sources, Hadi Rostami a eu la main cassée, et les agents chargés de l’interrogatoire ont ôté le pantalon de Mehdi Shahivand et menacé de le violer au moyen d’un morceau de bois s’il refusait de faire des « aveux » l’incriminant ainsi que ses coaccusés. Selon des sources bien renseignées, les agents ont forcé Mehdi Sharfian et Mehdi Shahivand à « avouer » des cambriolages dont ils n’étaient pas les auteurs et à impliquer Hadi Rostami dans ces mêmes cambriolages. Dans une lettre adressée au responsable du pouvoir judiciaire le 20 septembre 2020, qu’Amnistie internationale a pu examiner, Hadi Rostami a indiqué que, pendant la phase d’instruction de leur dossier, les agents chargés de l’interroger lui avaient asséné des coups de poing et de pied, et des coups à l’aide de divers instruments. Il a ajouté que l’un des agents avait exigé qu’il signe une feuille de papier blanche et qu’il avait fini par obtempérer, à bout de forces sur le plan physique et mental. Les autorités de poursuite ont ensuite détaillé sur cette feuille blanche, sans qu’il en ait connaissance et qu’il y ait consenti, la nature des faits qui lui était reprochés, pour faire croire qu’il les avait reconnus. 


Les trois hommes se sont rétractés devant le tribunal et ont informé les juges que leurs « aveux » leur avaient été extorqués sous la torture. Toutefois, le tribunal pénal comme la Cour suprême ont manqué à leur obligation de ne pas retenir ces « aveux » à titre de preuves et d’ordonner des investigations sur leurs allégations de torture. La décision rendue par la Cour suprême, qu’Amnistie internationale a examinée, évoquait brièvement et en termes vagues le fait que Hadi Rostami s’était plaint de torture, mais elle ne développait pas le sujet. 


Hadi Rostami a déposé de nombreuses plaintes officielles auprès d’organes judiciaires, mais elles sont restées lettre morte. En mars 2021, alors qu’il était incarcéré dans la prison d’Orumiyeh, il s’est plaint auprès d’un fonctionnaire en visite qui représentait Ebrahim Raisi, alors responsable du pouvoir judiciaire en Iran ; ce représentant l’a assuré qu’il serait remédié à sa situation. Hadi Rostami a également évoqué son cas directement auprès de l’actuel responsable du pouvoir judiciaire, Gholamhossein Mohseni Ejei, quand celui-ci s’est rendu à la prison d’Ilam (province d’Ilam), où Hadi Rostami était alors détenu, mais cette démarche est elle aussi restée sans suite.


Les autorités iraniennes avaient déjà envisagé précédemment d’appliquer la peine d’amputation de Hadi Rostami, Mehdi Sharfian et Mehdi Shahivand, mais elles y avaient renoncé en septembre 2020, à la suite de pressions internationales.


L’Iran est légalement tenu d’interdire et de sanctionner la torture en toutes circonstances et sans exception. Cependant, le Code pénal islamique iranien prévoit toujours l’imposition à titre de sanction pénale de châtiments corporels constituant des actes de torture, notamment l’amputation, la flagellation, l’aveuglement, le crucifiement et la lapidation. Selon le Centre Abdorrahman Boroumand pour les droits humains en Iran, les tribunaux iraniens ont prononcé au moins 356 peines d’amputation depuis 1979. L’organisation a également recensé l’application de 192 peines d’amputation depuis 1979, mais le Centre Abdorrahman Boroumand estime que ce chiffre est très en deçà de la réalité. 


En vertu du droit international, le terme « torture » désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment de la punir d’un acte qu’elle a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou d’intimider une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit. L'Assemblée générale des Nations unies a toujours condamné la torture et les autres mauvais traitements, appelant les États à enquêter sur ces actes et à poursuivre leurs auteurs présumés. En 1975, elle a adopté la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, énonçant l’obligation incombant à tous les États d’enquêter sur les allégations de torture, de poursuivre les auteurs présumés de tels agissements et d’accorder réparation aux victimes. De plus, en vertu de l’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), toute personne privée de sa liberté doit être traitée « avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine ».
 

LETTRE À ENVOYER

Monsieur le Responsable du pouvoir judiciaire,

Je suis profondément préoccupé·e par le fait qu’au moins huit détenus de la prison centrale du Grand Téhéran, dans la province de Téhéran, risquent de voir leur peine d’amputation appliquée de manière imminente. Depuis le 8 juin 2022, les autorités ont tenté à deux reprises de transférer Hadi Rostami, Mehdi Sharfian, Mehdi Shahivand, Amir Shirmard, Morteza Jalili, Ebrahim Rafiei, Yaghoub Fazeli Koushki et un homme dont on ignore l’identité dans une prison équipée d’une guillotine, afin d’appliquer leur peine. Le 8 juin 2022, les autorités ont informé ces hommes qu’ils seraient transférés dans la prison d’Evin, à Téhéran, ou dans la prison de Raja’i Shahr, à Karaj (province d’Alborz), en vue de l’application de leur peine, mais leur transfert a été reporté pour des raisons inconnues. Le 11 juin 2022, les autorités ont extrait au moins sept des huit hommes de leur quartier et les ont fait monter à bord d’un véhicule pour les transférer dans une autre prison aux fins de l’application de leur peine. Toutefois, le transfert a été reporté à la dernière minute et les hommes ont été renvoyés en cellule. Le 12 juin 2022, selon des sources bien informées, des gardiens ont roué de coups Hadi Rostami et lui ont cassé le nez, pour le punir d’avoir dénoncé la peine sous le coup de laquelle les autres prisonniers et lui se trouvaient, et l’ont extrait de sa cellule. Depuis lors, les autorités refusent d’informer sa famille de son sort et de l’endroit où il se trouve, soumettant de ce fait cet homme à une disparition forcée. Des militant·e·s des droits humains en Iran ont signalé qu’une guillotine avait récemment été installée dans le dispensaire de la prison d’Evin et utilisée pour amputer quatre doigts à un prisonnier le 31 mai 2022. L’utilisation de l’amputation à titre de châtiment relève de la torture, qui constitue un crime au regard du droit international. 

Les huit hommes ont été déclarés coupables de vol qualifié. Hadi Rostami, 35 ans, Mehdi Sharfian, 39 ans, et Mehdi Shahivand, 26 ans, se sont tous trois vu dénier le droit de bénéficier des services d’un avocat pendant la phase d’instruction de leur dossier, et les tribunaux se sont fondés sur des « aveux  » obtenus au moyen d’actes de torture et d’autres mauvais traitements pour les déclarer coupable, bien que les accusés se soient rétractés pendant leur procès. Les autorités judiciaires n’ont pas ordonné d’enquête sur leurs allégations de torture. Selon leur jugement, ils sont condamnés à « subir une ablation totale de quatre doigts de la main droite, ne laissant subsister que la paume de la main et le pouce ». Pour protester contre cette décision, Hadi Rostami et Mehdi Shahivand ont entamé une grève de la faim le 29 mai 2022. Ils y ont mis fin le 2 juin 2022, les autorités ayant promis de les gracier. En février 2021, Hadi Rostami s’est vu infliger 60 coups de fouet en prison après avoir été déclaré coupable de « trouble à l’ordre au sein de la prison », en représailles à des grèves de la faim qu’il avait observées pour dénoncer ses conditions de détention inhumaines et la menace répétée d’une application imminente de sa peine d’amputation. Il a fait deux tentatives de suicide en prison, notamment en avalant du verre brisé, qui lui ont laissé de graves séquelles, pour lesquelles les autorités lui ont refusé des soins médicaux adéquats. 

Je vous prie instamment de révéler immédiatement le sort réservé à Hadi Rostami et le lieu où il se trouve, d’annuler la déclaration de culpabilité et la peine d’amputation de ces huit hommes et de les faire bénéficier d’un nouveau procès, équitable cette fois-ci et excluant le recours à des châtiments corporels. Je vous prie également de veiller à ce que leurs allégations de torture donnent lieu à une enquête et à ce que toute personne soupçonnée d’avoir ordonné et/ou commis des actes de torture soit traduite en justice. De façon plus générale, j’appelle les autorités iraniennes à abolir toutes les formes de châtiments corporels en droit et en pratique et à traiter les prisonniers et les détenus de manière compatible avec le respect de la dignité humaine. 

Veuillez agréer, Monsieur le Responsable du pouvoir judiciaire, l’expression de ma haute considération.
 

APPELS À

Responsable du système judiciaire
Gholamhossein Mohseni Ejei
c/o Embassy of Iran to the European Union
Avenue Franklin Roosevelt No. 15, 1050 Bruxelles, Belgique 

COPIES À

 

Mélanie Joly
Ministre des Affaires étrangères
111, rue Wellington
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Aucun timbre requis
Courriel:  melanie.joly@parl.gc.ca