• Philippines

Craintes de torture pour un militant victime d'enlèvement

CONTEXTE

Steve Abua, un militant des droits fonciers qui aide au niveau local les paysans et paysannes et les peuples autochtones à défendre leurs droits, est porté disparu depuis le 6 novembre 2021, date à laquelle il a été victime d’un enlèvement dans la région de Luçon centrale. Selon son épouse, ses ravisseurs présumés l’ont appelée et lui ont demandé de le convaincre de reconnaître son appartenance à un groupe armé, méthode souvent utilisée par les autorités philippines pour réduire au silence les personnes qui défendent les droits humains ou ont des vues dissidentes. La police et l’armée doivent déployer tous les moyens à leur disposition pour retrouver Steve Abua, assurer sa sécurité et lui permettre de retrouver les siens.

Steve Abua est engagé depuis longtemps au niveau local pour défendre les droits des paysans et paysannes, des ouvrières et ouvriers agricoles et des peuples autochtones au sein du Mouvement des paysans philippins (KMP). Auparavant, il a été militant et leader étudiant, diplômé avec mention de l’Université des Philippines.

Steve Abua a été vu pour la dernière fois le 6 novembre 2021 dans la ville de Lubao, dans la province de La Pampangue, alors qu’il se rendait à une réunion dans la province de Bataan, selon son épouse Johanna. On pense que des ravisseurs inconnus se sont emparés de lui par la force, soit au niveau d’un terminal de transport dans la province de La Pampangue, soit dans la ville de Dinalupihan, dans la province de Bataan. 

Le jour même de l’enlèvement, Johanna Abua a reçu des messages, dont des photos de son mari, provenant du téléphone de Steve Abua et émanant probablement de ses ravisseurs. On lui a ensuite montré une vidéo sur laquelle son époux, vêtu d’une chemise blanche et d’un jean, avait les yeux bandés, les mains liées et un chiffon dans la bouche. Les ravisseurs, qui n’ont pas décliné leur identité ni indiqué à quel groupe ils appartenaient, auraient enjoint à Johanna Abua lors d’appels ultérieurs de convaincre son mari de reconnaître qu’il appartenait à la Nouvelle Armée du peuple (NPA) - ce qui selon Johanna, n’est pas le cas. Ils lui auraient également demandé de les rencontrer et de venir accompagnée de son enfant, ce qu'elle a refusé. Les ravisseurs ont dit à Johanna Abua de ne parler à personne de la situation de son mari, sans quoi ils le tueraient, ajoutant que les autorités ne laisseraient à Steve Abua qu’une chance de « changer de comportement ». La police et les forces armées de la région ont affirmé ne pas avoir arrêté Steve Abua, ne pas le détenir ni le retenir en captivité.

Le phénomène de « marquage rouge » – qui consiste, de la part des autorités et d’inconnus, à associer des personnes qui mènent des activités militantes ou défendent les droits humains à des groupes armés – existe depuis des dizaines d’années, mais il a pris de l’ampleur sous la présidence de Rodrigo Duterte, après la rupture des pourparlers de paix entre le gouvernement et le Parti communiste des Philippines, en 2017. Le décret présidentiel n° 70, signé ultérieurement par Rodrigo Duterte, prévoit « une approche nationale de la lutte contre les groupes terroristes communistes locaux » et a débouché sur la création du Groupe de travail national pour mettre fin au conflit armé communiste local. Pour les observateurs, ce moment a marqué le début d’une nouvelle campagne de « marquage rouge », de menaces et de harcèlement dirigés contre des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s politiques, des avocat·e·s, des syndicalistes et d’autres groupes considérés comme ayant des liens avec la gauche progressiste.

De nombreux groupes, dont Amnesty International et le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, ont appelé à la cessation immédiate de cette approche, et ont exprimé leur inquiétude face au fait que cette stratégie anti-insurrectionnelle à la portée dangereusement vaste avait entraîné une augmentation du nombre de violations des droits fondamentaux des défenseur·e·s des droits humains et des militant·e·s politiques dans tout le pays.

LETTRE À ENVOYER

Monsieur,

Je vous écris pour vous faire part de ma préoccupation face à l’enlèvement de Steve Abua, militant et défenseur des droits fonciers, porté disparu depuis le 6 novembre. Selon son épouse, Johanna Abua, il se rendait à une réunion lorsque des inconnus se sont emparés de lui par la force, dans la province de La Pampangue ou dans celle de Bataan, toutes deux situées dans la région de Luçon centrale, qui relève de votre autorité.

J’ai appris avec inquiétude que lors d’un appel téléphonique, les ravisseurs avaient montré à Johanna Abua une vidéo où son mari avait les yeux bandés, les mains attachées et un chiffon dans la bouche. Les ravisseurs ont demandé à Johanna Abua de convaincre son époux de reconnaître qu’il faisait partie d’un groupe armé, la Nouvelle Armée du peuple (NPA), ce qui, selon elle, n’est pas le cas. Ils ont également demandé à Johanna Abua de venir à leur rencontre avec sa petite fille, ce qu'elle a refusé. Il y a lieu de penser que les ravisseurs pourraient avoir des liens avec les autorités, car selon Johanna Abua, ils lui ont dit que les autorités donnaient à Steve une chance de « changer de comportement ».

Le phénomène du « marquage rouge » aux Philippines est, à mon sens, extrêmement préoccupant. Le gouvernement, bien qu’il se soit engagé à maintes reprises à respecter, protéger et promouvoir les droits humains, continue à accuser à tort des militants et militantes et des personnes qui défendent les droits humains d’appartenir à la NPA. Ces accusations, de fait, entraînent une augmentation des attaques, y compris des meurtres, visant ces personnes.

La disparition de Steve Abua, qui l’expose à un risque accru de subir des actes de torture et d’autres mauvais traitements, ainsi que le harcèlement de sa famille, mettent en évidence la situation alarmante des droits humains aux Philippines.

En conséquence, je vous appelle, conformément à vos devoirs et obligations :

à libérer Steve Abua immédiatement et sans condition, à moins que suffisamment d’éléments dignes de foi et recevables ne tendent à prouver qu’il a commis une infraction reconnue par le droit international et qu’il ne bénéficie d'un procès équitable, conformément aux normes internationales ;

  • à utiliser tous les moyens à votre disposition pour, de toute urgence, établir où se trouve Steve Abua, assurer sa sécurité et lui permettre de retrouver les siens ;
  • à enquêter sur les circonstances de l’enlèvement de Steve Abua et à traduire en justice toute personne soupçonnée de responsabilité pénale dans cette affaire, dans le cadre d’un procès équitable ;
  • s’il est détenu par l'État : à révéler immédiatement où il se trouve et à le libérer sans délai, à moins qu’il ne soit inculpé d’une infraction dument reconnue par la loi, conformément aux normes internationales ; dans l’attente de sa libération, à veiller à ce qu’il soit traité dans le respect des normes internationales ;
  • à assurer la protection et la promotion des droits humains de toutes les personnes, y compris celles qui défendent les droits humains et mènent des activités militantes, souvent les premières à être victimes de violations.

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de ma haute considération,

APPELS À

Commandant de l’armée philippine pour le nord de Luçon
Lt. Gen. Arnulfo Marcelo Burgos Jr.
Camp Servillano Aquino, 
Tarlac City, Tarlac
Philippines

COPIES À


Son Excellence M. Rodolfo ROBLES (m)
Ambassadeur
Ambassade de la République des Philippines
30 Murray Street
Ottawa, ON K1N 5M4
Canada
Tel: 613-233-1121 or 24hrs 614-2846 Fax: 613-233-4165
Email: embassyofphilippines@rogers.com
 

Mélanie Joly
Ministre des Affaires étrangères
111, rue Wellington
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Aucun timbre requis
Courriel:  melanie.joly@parl.gc.ca